La lèpre frappe chaque année plus de 200 000 personnes selon l’Organisation Mondiale de la Santé. La maladie, bien que négligée, est loin d’appartenir au passé et affecte des personnes jeunes. A l’image d’Assiba, 27 ans, handicapée à vie par la lèpre. Aujourd’hui, elle se bat pour donner un avenir à son fils et sortir de la pauvreté.

 

Assiba s’avance d’un pas lent. Les yeux légèrement plissés, le regard fier, elle joue machinalement avec un petit porte-monnaie rose. Un enfant vêtu d’un simple caleçon vient l’accueillir, faisant fuir des poulets à grand bruit. Nous sommes dans le village de Houéglé-Agué au Bénin. C’est ici, dans l’obscurité d’une case en terre battue qu’Assiba pensait vivre ses derniers instants. Elle avait 22 ans. Elle ne mangeait plus, ne parlait plus, ne marchait plus. La lèpre avait rongé ses mains, ses pieds, son visage et sa vie. Aujourd’hui, de retour dans son village natal, dans un magnifique pagne rose fuchsia, Assiba savoure sa victoire sur la maladie.

« J’ai échappé à la mort »

Le village d’Assiba se trouve dans la commune de Toffo. Il est le dernier de la piste. Une piste chaotique, creusée par de profonds sillons de terre rouge, ravinée par les pluies. Parfois, un petit visage sort de terre au détour d’une bosse. C’est l’heure où les écoliers, tout de beige vêtus, rentrent chez eux. Ils serpentent en groupe le long des routes à travers la forêt de palmiers. Puis la route devient de plus en plus étroite pour devenir un mince filet, alourdie par endroit de profondes flaques d’eau sombre et poisseuse. « La première fois que je suis venue ici, j’ai pleuré ». Sœur Séréna est la directrice du centre de traitement anti-lèpre (CTAL) de Ouidah, entièrement financé par la Fondation Raoul Follereau. « Quand Assiba est arrivée au centre, c’était comme si elle allait mourir le lendemain. Nous lui avons tout de suite donné le traitement contre la lèpre, une combinaison d’antibiotiques, puis nous l’avons nourrie, lavée, coiffée, habillée, réappris à marcher. La maladie a complètement arrêté son développement, en plus de la malnutrition dont elle souffrait. Assiba avait le corps d’une fille de 8 ans. » La convalescence d’Assiba aura duré deux ans.

“Je suis encore exclue ”


Malgré le rejet de sa famille, Assiba est une battante. © Marie-Charlotte Noulens

Aujourd’hui guérie, elle porte les séquelles de la lèpre à vie. « Quand tu as la lèpre, tu es exclu de ta communauté. Encore aujourd’hui, je me sens rejetée. Lorsque je vais au marché à Ouidah, les gens me fuient », souffle la jeune femme. Elle s’exprime et respire avec effort. Son nez a disparu de son visage. Assiba a contracté la lèpre à l’âge de 6 ans. « J’avais une tache sur la peau. Au fil des années, mon état s’est aggravé. Alors mon père m’a emmenée voir des guérisseurs. » Les retards de diagnostic engendrent de lourds handicaps. Pendant 15 ans, la maladie s’est propagée et a détruit son corps. « Le chef d’arrondissement m’a vu lors d’une tournée et m’a envoyée me faire soigner à Ouidah, au CTAL », se souvient Assiba, « La directrice du centre a pris soin de moi. C’est grâce à elle que j’ai échappé à la mort. » L’histoire d’Assiba puise aussi sa source dans la souffrance de l’abandon. L’abandon par sa mère, d’abord, puis par le père de son enfant, qu’elle a eu de retour à son village, une fois guérie. « Je suis très émue en vous racontant cette histoire… », soupire Assiba. Le silence tombe, transpercé par instant par le caquètement des poulets. Son regard fuit : « C’est tellement difficile de dire tout ce que j’ai souffert dans ma vie. Le centre de Ouidah est devenu ma famille. C’est le seul endroit où je suis totalement acceptée, où l’on me salue, où l’on me sourit comme une personne normale » Assiba est une femme au caractère bien trempé. Par instant, on peut saisir un sourire en coin, fugace et enjolivé par ses yeux pétillants. Jérémie, son fils de 7 ans, a hérité de cette expression malicieuse.

L’instruction est la clef


Jérémie souhaite devenir agent de santé. © Marie-Charlotte Noulens

Assiba racle avec énergie la terre fertile et dense d’où sortent de hauts pieds de maïs. Seul le bruissement des feuilles et le bruit cadencé de sa pioche indique sa présence. Elle est courbée à 90°. Ce petit champ de maïs est le fruit de son travail. Assiba a suivi la formation agro-pastorale proposée par le centre. « Ce qui m’a motivée, c’est l’intime conviction qu’après la maladie, il faut être capable de se relever. Il faut pouvoir être autonome » A quelques mètres de sa case, au CTAL, cette culture, en plus de la vente de bois, lui permet de gagner un peu d’argent. La jeune femme a 27 ans désormais et doit subvenir aux besoins de Jérémie. Le petit garçon de 7 ans est scolarisé dans l’école publique, juste à côté du centre. La Fondation Raoul Follereau finance ses frais de scolarité. L’instruction de Jérémie est l’une des raisons pour lesquelles Assiba préfère travailler à Ouidah plutôt que dans son village. « A Houéglé-Agué, Jérémie serait déscolarisé avec en plus de grands risques de malnutrition », souligne sœur Séréna. Pour Assiba, ce n’est pas envisageable : « Mon rêve serait que mon fils devienne un grand homme. » Assise contre le mur de sa case, au CTAL, Assiba trie des haricots. Son pagne coloré peine à masquer silhouette fluette. Jérémie rentrera de l’école d’une minute à l’autre. « C’est vraiment difficile d’être une maman avec mon handicap. Qu’est-ce qu’il va devenir avec une mère qui n’a pas ses dix doigts pour travailler ? C’est ce qui me fait souffrir énormément. S’il n’y avait pas la sœur, ni la Fondation, je n’aurais rien ni personne pour m’aider à l’élever. Sans mon enfant, ma vie n’aurait pas de sens. »

Le petit garçon souhaite devenir « agent de santé pour soigner des gens. J’ai plein d’amis en classe. Personne ne fait de différence entre les mamans. », dit-il timidement en caressant le bras de sa mère. Rires, sourires, regards attendris, Assiba et Jérémie sont très complices. Comme Assiba, ils sont 3 millions à vivre avec des séquelles invalidantes à vie selon l’OMS. Aux yeux du docteur Adeye, médecin doyen du centre de traitement anti-lèpre et ulcère de Buruli « Madeleine et Raoul Follereau » de Pobè, la maladie touche « ceux qui n’ont pas de voix dans la société. On ne peut pas dire que les malades soient négligents sur leur propre santé, ils sont ignorants. » A l’image du père d’Assiba, les familles se démènent et s’endettent auprès des guérisseurs appelés pudiquement les tradipratriciens. « Au Bénin, pour sortir de cette ornière, il faudrait donner l’accès à l’instruction pour tous les enfants », conclut le médecin. Le village d’Assiba incarne cette terrible réalité. Enfants déscolarisés aux ventres gonflés par les carences alimentaires, usage de l’eau de la rivière pour boire et se laver, absence d’électricité, habitations insalubres… Grâce au CTAL, Assiba est la plus diplômée de son village. Elle y a appris à compter et les rudiments de l’écriture. L’action du CTAL ne s’arrête pas là et apporte un suivi de ses éventuelles blessures dues à sa perte de sensibilité au niveau des membres atteints, des chaussures adaptées, une formation sanitaire appelée auto-soin a­fin d’éviter les plaies, une aide sociale pour scolariser son fils, une nouvelle famille en attendant sa réinsertion dans la société grâce à son diplôme.

Assiba est originaire d’u n village très isolé dans la brousse, sans eau ni électricité. © Marie-Charlotte Noulens

 

 

[DIAPO] Assiba, une vie déchirée