Au Bénin, depuis plusieurs années, la Fondation Raoul Follereau s’engage pour les enfants malades de l’ulcère de Buruli et les enfants de malades de la lèpre. Tous vivent avec des blessures physiques et psychologiques limitant, voire empêchant, leur intégration dans la société. Face à ce constat, elle a mis en place un système de bourses scolaires permettant ainsi de lutter contre le décrochage scolaire mais aussi contre la malnutrition et la pauvreté.

 

 

De lourds nuages menacent la brousse. Suspendus par de minces fils de ciel bleu, ils sont prêts à se déverser sur la forêt de palmiers, aussi dense et que sombre. Dans ce camaïeu de couleurs orageuses, un trait de terre battue rouge et sinueux brille entre les vallons. La piste est chaotique. Pierre est concentré sur la route. Un moment d’inattention pourrait faire chavirer le 4×4. Blandine est assise à ses côtés. La jeune femme est l’assistante sociale du centre de traitement anti-lèpre et ulcère de Buruli (CDTLUB) de Pobè, une ville perchée sur un flanc de colline au sud-est du Bénin. Aujourd’hui, le duo part en tournée à la rencontre d’anciens petits patients.

« Nous allons d’abord à Dangbo ! », lance Blandine d’une voix forte pour percer le bruit du moteur, « nous y avons placés 4 enfants. » Depuis 2012, Blandine travaille au CDTLUB. Son rôle est majeur dans la prise en charge des patients. « La vocation initiale du centre de Pobè est de soigner les malades de la lèpre et de l’ulcère de Buruli (UB) », explique la trentenaire, « ces deux maladies touchent des populations pauvres et isolées. Mon métier va du suivi psycho-social des patients hospitalisés jusqu’à leur réinsertion une fois guéris. C’est un vrai défi car la lèpre et l’UB causent de grands dommages socio-financiers sur ceux qui en sont affectés. » Ces deux maladies sont classées par l’OMS parmi les maladies tropicales négligées. Les traitements sont longs et demandent de gros financements.

 

Les cas d’ulcère de Buruli au Bénin

 

Pobè est une ville située non loin du fleuve Ouémé. Il y a quelques années, l’équipe médicale de la Fondation Raoul Follereau, en partenariat avec le ministère de la Santé du Bénin, ont constaté un fort taux d’incidence de cas d’ulcère de Buruli dans cette région. Ce qui a conduit à la création du CDTLUB, devenu centre de référence et entièrement administré par la Fondation Raoul Follereau. « De nos jours encore, il n’existe pas de protocole de prise en charge des plaies au Bénin », souligne le docteur Adeye, médecin doyen du CDTLUB, « très peu d’hôpitaux, seulement 4 dont Pobè, savent soigner les ulcères. »

Dans 50 % des cas d’ulcère de Buruli, les malades sont des enfants de moins de 15 ans. Leur hospitalisation entraîne leur déscolarisation sur une longue période. Une hospitalisation qui désorganise complètement la cellule familiale. Dans un très grand nombre de cas, les patients atteints de l’UB restent hospitalisés plusieurs années. « Les enquêtes sociales que je mène ont tout le temps révélé que les patients sont vraiment des personnes démunies. Ils ont investi dans les soins mais souvent en tradipatricien et dans les soins locaux qui leur ont mangé toutes leurs petites économies. Je dis petites économies car ce sont des gens qui se battent juste pour leur survie », souligne l’assistante sociale, « tous les mois, je reçois trois ou quatre cas où les patients sont indigents au point de ne pas pouvoir payer. » La prise en charge de l’UB s’élève à 200 000 FCFA (environ 300 €) pour trois mois d’hospitalisation dans les hôpitaux publics. Le salaire minimum au Bénin est de 40 000 FCFA (environ 60 €).

Une infirmière refait le pansement d’un jeune garçon amputé à cause d’un ulcère de Buruli. © Marie-Charlotte Noulens

Il existe deux phases de l’UB. La première phase se manifeste différemment selon le patient : soit un nodule se forme sous la peau, soit une plaque dure, soit un œdème. S’il n’y a pas de traitement, une combinaison d’antibiotiques, pendant cette phase, alors l’ulcère se forme et ouvre une plaie. C’est le stade 2. Le passage du stade 1 au stade 2 se fait en quatre semaines environ. En absence de soin, des germes colonisent les plaies béantes et étendues entraînant une surinfection de l’ulcère qui peut aller jusqu’à une infection de l’os. L’ulcère se forme au niveau des articulations dans la majorité des cas. Une rééducation est nécessaire pour les patients atteints ou une amputation dans les cas les plus extrêmes. « Nous sommes face à des jeunes enfants et adolescents, tous issus d’un milieu très défavorisé, qui ont perdu l’usage de leur bras, de leur jambe, créant un handicap très lourd », précise Blandine, « si Pobè fournit des prothèses et des séances de rééducation, notre souci est de permettre à ces enfants de poursuivre une scolarité et de trouver ensuite une place sur le marché du travail. » En étroite collaboration avec Blandine, la Fondation Raoul Follereau propose des bourses scolaires. L’objectif est multiple. En plus de leur réinsertion, ces bourses permettent aux enfants de ne pas être déscolarisés, de lutter contre la malnutrition, d’avoir un logement à proximité du CDTLUB pour un meilleur suivi médical, social et scolaire par les équipes du centre.

 

Un suivi social, médical et scolaire

 

« Lorsque l’enfant retourne dans son village, en famille, son cadre de vie n’est pas adapté à son handicap », explique Blandine. Un aspect qui se comprend mieux au regard de l’état désastreux des routes qu’emprunte Pierre au volant du 4×4. L’enchainement de creux et de bosses et les pistes en sable instables semblent peu praticables pour des personnes ayant des prothèses par exemple où des difficultés à marcher. La Fondation Raoul Follereau, par le biais de Blandine, place les enfants guéris de l’UB dans des complexes scolaires avec pensionnat à proximité du CDTLUB. « Généralement, quand il y a récidive, les parents laissent traîner les plaies et ils reviennent dans un état catastrophique. C’est pour cela que nous avons décidé de mettre ces enfants dans un système où l’hôpital pourra les suivre de façon régulière. »

Nous arrivons enfin dans l’école de Dangbo. Dans la cours, des élèves chahutent, laissant s’échapper sous leurs semelles des tourbillons de sable chaud. La première étape de l’assistante sociale est de rencontrer la directrice. « Je dois vérifier que la scolarité se passe bien pour les quatre filles que nous avons placé ici. » Lucrèce 9 ans et Fifame 7 ans sont en CE1. Sur les deux sœurs, seule la petite dernière a eu un UB qui a bloqué définitivement sa cheville droite. Antoinette et Prudencia, respectivement 17 et 24 ans sont en formation couture dans la même école. Originaire de Kové, Prudencia a vu sa vie basculer du jour au lendemain : « C’était un mercredi. Au retour de l’école, j’ai ressenti une vive douleur au genou. J’avais 17 ans. » Son état se dégrade et ce n’est qu’à 21 ans, sur les conseils de sa grande sœur, qu’elle arrive à Pobè dans un état critique : « J’étais très fatiguée et désorientée. Je suis restée hospitalisée presque deux ans. Ma mère est décédée à cette période. » Grâce à « Tata Blandine », comme elle la surnomme affectueusement, Prudencia a pu continuer ses études : « je veux travailler. Peu importe où. » Ce n’est pas simple pour ces jeunes d’accepter leur handicap. Blandine discute beaucoup avec eux pour les soutenir psychologiquement : « Je les aide à assumer leur handicap et à se relever. C’est capital pour ces jeunes de sortir de l’école avec un diplôme et l’envie de se réinsérer. »

 

Prudencia, 24 ans et boursière Follereau. © Marie-Charlotte Noulens

 

Dans la cours de l’école de Dangbo, Antoinette peine à retenir ses larmes. « Ne t’inquiète pas. On va voir ce que dira l’équipe médicale. » Blandine tente de la consoler. Sa plaie s’est ouverte à nouveau. Antoinette risque de repartir à Pobè pour minimum trois mois. A seulement 17 ans, la jeune fille est passée par beaucoup d’épreuves. Ce sera peut-être celle de trop. Atteinte par un ulcère de Buruli au genou à l’âge de 12 ans, Antoinette a été déscolarisée pendant un an complet avant d’être hospitalisée à Pobè : « ma peau partait, la plaie sentait mauvais. Je pleurais beaucoup à cause de la douleur. » A 13 ans, la petite Antoinette arrive au CDTLUB. Pendant plus d’un an, son quotidien n’était que pansements, séance de kiné pour réapprendre à marcher, soins des plaies… Antoinette n’a pas réussi à prendre soin correctement de sa cicatrice. C’est Blandine qui a demandé à la voir. L’équipe médicale de Pobè passera à Dangbo pour se prononcer sur une éventuelle hospitalisation.

En 2021, la Fondation Raoul Follereau a soutenu 19 enfants et jeunes avec une particularité cette année : « Nous avons proposé à la Fondation d’aider des enfants de malades de la lèpre », souligne Blandine, « nous sommes partis d’un constat : les personnes atteintes par la lèpre ayant des séquelles invalidantes ne peuvent plus travailler ou subvenir correctement aux besoins de leurs familles. Pourquoi les enfants de malades de la lèpre doivent en subir les conséquences ? »

 

Des bourses pour les enfants de malades

 

Blandine, l’assistante sociale, pose avec Hélène, une boursière qui entame sa deuxième année de licence en administration. Elle a été amputée d’une jambe alors qu’elle n’étais qu’une enfant. © Marie-Charlotte Noulens

Le lendemain, départ pour le nord du Bénin, dans la région de l’ethnie Holi. « Nous allons voir les enfants de Sandé, un ancien malade de la lèpre, soigné à Pobé », annonce Blandine. L’homme vit seul avec sa mère, son fils et sa fille. Il a eu la lèpre jeune, causant chez lui plusieurs séquelles irréversibles : perte de la mobilité des doigts, perte de la vue… Sa femme l’a quitté en raison de sa maladie. Une chose fréquente selon Blandine : « le conjoint ou la conjointe du malade de la lèpre s’en va quasiment à chaque fois. » Des heures de piste sont nécessaires pour atteindre la case de Sandé, pourtant située à vingtaine de kilomètres de Pobè. C’est une des particularités des Holi : ils ne vivent pas en hameau mais de manière dispersée dans la brousse. A mesure que la voiture progresse péniblement, un toit de paille sort des hautes herbes. Il chapeaute maladroitement quatre murs de terre, ponctués de trous lumineux. Une femme âgée, torse-nu et pagne coloré noué à la taille est assise devant : « Sandé va venir. Il est dans son champ. » L’intérieur de la case est sombre, le sol en terre battue renvoie une certaine fraicheur, avec une moustiquaire bleue pour seul mobilier. Ils sont 4 à s’y blottir toutes nuits : Sandé, sa mère et les enfants de Sandé, Lanan 12 ans, et Forlake, 6 ans. Lanan, un beau garçon au large sourire accueille Blandine. « Il va faire la formation coiffure l’année prochaine dans un complexe scolaire à Pobè », se félicite Blandine.

Accrochée à la jambe de Blandine, Forlake ne dit pas un mot. Le menton penché, les yeux vides pointant vers le ciel, la petite fille semble ailleurs. La gale a rongé par endroits ses cheveux. Son ventre gonflé d’enfant malnutris dépasse par-dessus son petit pagne. « Elle a des problèmes psychologiques et de langage à cause de l’abandon par sa mère. On sent qu’il lui manque l’amour maternel », analyse Blandine. Pour Sandé, la situation est difficile à vivre : « Je suis agriculteur. Je ne gagne pas assez d’argent pour nourrir ma famille. Comment puis-je les envoyer à l’école ? » La case n’a pas d’électricité, ni même de table pour faire les devoirs, l’école est à 8 kilomètres à pied. « Les conditions sociales sont très dégradées », dit pudiquement Blandine, « en plaçant Lanan dans un pensionnat proche du CDTLUB, nous pourrons suivre sa nutrition et sa scolarité. »

Le soleil décline dans le brousse. C’est l’heure d’or en cette fin d’après-midi. La tournée est terminée. Il est temps pour l’équipe de rentrer à Pobè avant la nuit. Forlake observe, impuissante, la voiture partir. Son regard n’est que tristesse.

 

Sandé et ses deux enfants. © Marie-Charlotte Noulens

 

 

[DIAPO] Des bourses scolaires pour lutter contre l’ulcère de Buruli