Le 28 février 2021, à Davougon, au Bénin, le père Christian Steunou a fêté son jubilé sacerdotal lors d’une grande fête dans l’ancienne léproserie. Présent en Afrique depuis 50 ans et partenaire de la Fondation Raoul Follereau depuis 30 ans, le père Christian est la figure emblématique de la région qui a créé le centre Saint Joseph, un dispensaire mettant la santé à la portée des plus pauvres.

 

«Comment ça va maman ?» Attablé face à une pile de médicaments, le père Steunou, prêtre infirmier serviteur des malades de l’ordre de Saint Camille, regarde une vieille dame avec un sourire. Aujourd’hui, c’est le jour de la distribution du traitement contre la lèpre pour les patients du centre Saint Joseph de Davougon, au sud du Bénin. «Cette dame est arrivée avec le visage complètement déformé. Elle était bourrée de bacilles de la lèpre !», se souvient le prêtre, «avec le traitement, elle va beaucoup mieux. Elle devrait pouvoir rentrer chez elle bientôt.» Autour de la table, les malades attendent patiemment d’être appelés par leur nom. Avec l’aide d’une infirmière, le père Christian remplit avec précision le carnet de santé de chaque patient. Le religieux à la silhouette frêle approche les 80 ans mais garde une énergie étonnante. «Lorsque tu as un objectif, rien n’est impossible !» Depuis 50 ans, le prêtre se bat pour donner un accès à des soins de qualités pour les plus pauvres du Bénin et parfois même des pays frontaliers, le Togo et le Nigeria.

 

Le père Christian a rencontré Raoul Follereau

 

Le père Christian rassure un malade dans la salle de pansements. © Marie-Charlotte Noulens

Le père Christian Steunou est Breton. Il aime à préciser que la première langue étrangère qu’il a apprise est le français : «je parlais breton avec mes parents ! Je suis d’une famille d’un milieu rural et j’ai été élevé par ma grande sœur, ma mère étant fragile. En Afrique, on aurait pu dire que ma sœur ‘’m’a porté sur son dos’’.» Le fait d’avoir son bébé attaché au dos par des foulards est un geste maternel très fort en Afrique qui scelle les liens entre un enfant et sa mère. «Lorsque pour la première fois j’ai pensé mettre ma vie au service de Dieu et  des hommes, j’avais  environ 7 ou 8 ans. Mon modèle  était  alors le curé de mon petit village  de Bretagne : je le  voyais  toujours disponible pour donner un coup de main à tous les petits paysans qui en avaient besoin, qu’ils soient pratiquants ou pas… Tous savaient qu’ils  pouvaient faire appel à son aide. Je voulais lui ressembler.» Plus tard, lorsque le père Christian est au séminaire, il découvre Saint Camille et son charisme au service des malades. «J’avais enfin trouvé la voie dans laquelle je souhaitais servir.» En 1972, une fois ordonné, il est envoyé au Bénin comme responsable de la léproserie de Majdré. «Je  venais  d’arriver à proximité, à  Dogbo. Je fus subitement parachuté responsable  de  léproserie, sans  rien connaitre  de cette mystérieuse et effrayante maladie de  la lèpre. Cela devait durer seulement pour quelques mois. Mais cela s’est transformé en 50 années ! Je ne savais  rien, mais j’ai commencé à y apprendre à n’avoir d’autre préoccupation que de soulager les plus pauvres et les plus abandonnés,  les plus petits… J’y ai appris  aussi à compter  sur la Providence qui n’abandonne jamais ceux  qui luttent en faveur de  ces exclus.» C’est à Majdré, une léproserie soutenue par la Fondation que commence le partenariat entre la Fondation Raoul Follereau et le père Steunou. Un lien d’amitié qui perdure encore aujourd’hui. Mais le personnage de Raoul Follereau n’était pas une figure inconnue pour le père Christian : «Au cours de mon noviciat, à Lyon, j’ai eu la chance  d’assister à une conférence  de Raoul Follereau, en 1962.  Je n’ai jamais  oublié ce petit homme tout en rondeur, avec  son légendaire nœud papillon, dont les paroles  sonnaient  justes  et vraies. Elles allaient droit au cœur. Il était accompagné de son admirable épouse, frêle et discrète, Madeleine. A l’époque, j’étais  loin de me  douter de  tout ce  que j’allais  vivre  avec  ses disciples au service  des «lépreux», tous ces exclus d’alors  et d’aujourd’hui.»

Le partenariat entre le père Steunou et la Fondation Raoul Follereau a pris de l’ampleur avec la léproserie de Davougon, au Bénin. Une léproserie qui est devenue au fil des années un véritable village socio-sanitaire dans lequel vivent en permanence plus de 700 personnes.

Un objectif : la santé pour les pauvres

Le centre Saint Joseph de Davougon se situe au cœur de la brousse, à l’écart des villages. Avant d’être un pôle de référence en matière de lutte contre la lèpre et l’ulcère de Buruli, il n’était «qu’une léproserie tout à fait classique», selon les termes du prêtre, «c’est-à-dire une sorte de mouroir dans lequel 40 malades de la lèpre attendaient la mort, sans rien faire.» Exclus des villages, les malades ont été installés dans une zone non cultivable faite de sable et de graviers. «La léproserie symbolisait tout à fait l’exclusion», se souvient le père Christian. Grâce à l’aide de la Fondation Raoul Follereau, le premier travail du père aura été de réintégrer les anciens malades au sein de leur famille. «Notre premier chantier a été de les réinsérer au sein de leur famille, dans leur village d’origine. Pour cela, la Fondation Follereau nous a aidé à construire pour chacun une petite case modeste mais propre, ou il sera enterré à sa mort. Chaque trimestre, les grands invalides viennent au Centre chercher une bonne ration de vivre.  De cette manière la réinsertion que l’on disait impossible, s’est faite sans difficultés. Dans le même temps, nous avons réalisé qu’il y avait autour de nous un grand nombre d’autres «lèpres» : tous ces pauvres de la brousse qui mouraient chez eux, cachés au fond des cases ou chez des guérisseurs, sans soins ou intoxiqués par des traitements mal contrôlés ou inadaptés.» Ainsi, au fil des années, la léproserie s’est transformée en centre de soins pour les malades de lèpre et pour les autres maladies touchant les populations vulnérables telles que l’ulcère de Buruli, la tuberculose, les porteurs du SIDA, les tumeurs cancéreuses, les maladies mentales… L’objectif était de faire de ce lieu d’exclusion un lieu d’intégration, ouvert à toute la population. «Nous avons essayé d’être surtout à l’écoute des malades et de voir comment nous pourrions répondre concrètement à leurs besoins réels. Nous partons de la personne malade. C’est la seule manière possible, par exemple, de prendre en charge et de sauver la jambe d’un enfant au fémur nécrosé, qui va rester avec nous un ou deux ans… Il faut constamment faire preuve d’ingéniosité pour pouvoir sauver tous ces exclus.»

Paul, un aide-soignant de Davougon, est un ancien malade de la lèpre sauvé par le père Steunou. © Marie-Charlotte Noulens

L’ensemble du centre de santé de Davougon comptabilise plus de 32 000 consultations, 250 hospitalisations par an, une soixantaine d’opérations chirurgicales par semaine et plus de 500 personnes accueillies par jour. Un rythme très élevé pour un centre de brousse avec peu de moyens. «Les équipes de santé ne savent pas que c’est impossible, alors elles le font», aime à souligner le père Steunou. «Nous ne sommes pas un hôpital mais nous pallions aux carences du système de santé. Il est étrange de voir autour de nous le nombre des Centres de santé et des hôpitaux neufs et apparemment bien équipés, mais presque vides, pendant que nos Centres croulent devant l’affluence. Il est vrai que notre grande préoccupation a été depuis 40 ans de mettre et maintenir les soins de santé essentiels à la portée des plus pauvres.» A l’image de Dorcas, une fille de 17 ans abandonnée à l’âge d’un an au centre. La jeune fille tisse des pagnes dans le centre de promotion féminine de Davougon, créé par le père Steunou pour les enfants malades et les cas sociaux. «Elle est arrivée à Zagnanado bébé avec des ulcères graves sur le bras et la jambe. La sœur Julia l’a opéré et je l’ai recueilli à Davougon. Sans nous, elle serait certainement morte.» Le centre de Zagnanado est le frère du centre de Davougon, tenu par une religieuse espagnole, sœur Julia. «J’y emmène une quinzaine de malades tous les mardis pour les opérations», explique le père Steunou. Le prêtre assiste la religieuse et fait office d’anesthésiste. «Cela peut paraître inconcevable pour un infirmier», dit-il dans un éclat de rire, «mais parfois cela nous dépasse ! Dans la salle de pansements, j’avais installé un crucifix avec le Christ Glorieux. Il n’est pas cloué sur la croix mais lève les mains au Ciel. Lorsque je dois m’occuper d’un cas difficile, c’est le Christ souffrant que je vois. Mon seul souci est alors de soigner le malade quoi qu’il en coûte afin qu’il soit comme le Christ glorieux : libéré de sa souffrance.»

 

Servir Dieu dans chaque geste

 

Le père Steunou donne un traitement contre la lèpre à un garçon de 12 ans. © Marie-Charlotte Noulens

De son petit pas feutré, le père Christian se dirige vers son bureau, dans le bâtiment réservé aux prêtres et à la direction du centre. A son passage, beaucoup de malades le saluent gaiement. Pour le prêtre, la vie de prière est vitale. «On est obligé de prier un peu dans la journée. Pour ne pas être pris dans l’action, il faut donner du sens à chaque geste que l’on pose. J’ai dans mon livre de prière une image de Jésus qui n’a pas de bras. Au-dessus, il est écrit : ‘’Veux-tu lui prêter les tiens ?’’. Je pense que ça reflète bien ce que je veux donner auprès des malades.»

Assis à son bureau, le père Christian sourit timidement. Dans l’univers de cette pièce se trouve toute la vie du prêtre : un ciré jaune breton accroché à la porte, une icône de Sainte Marie accompagnée d’un enfant avec un ulcère de Buruli, le portrait de sa sœur qui l’a élevé avec amour, une multitude de photos des personnes qui ont marqué sa vie dont la petite Dorcas bébé, la sœur Julia ou encore Cyriaque, fils d’un couple de lépreux de Davougon. «Je suis d’un naturel très peureux. Je devais venir en Afrique pour trois ans seulement. Si on m’avait dit que j’y resterai 50 ans, je crois que j’aurai fait demi-tour ! Puis les défis se sont enchaînés : endormir des malades, le diplôme d’infirmier à 40 ans passé… Ce n’est pas simple tous les jours. Il m’arrive parfois de vouloir tout laisser tomber. Puis quand je passe devant les chambres d’hospitalisation des enfants, ils m’appellent simplement pour chahuter un peu. Ça me redonne du courage !» A 80 ans, après plus de 50 ans en Afrique, 30 ans de partenariat avec la Fondation Raoul Follereau, l’histoire de la vie du père Christian est à l’image de son œuvre : inattendue, fructueuse et tournée vers l’autre.