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Durant les mois de juillet et d’août, le gouvernement burkinabé lance une grande campagne de sensibilisation itinérante sur les dangers du mariage précoce des jeunes filles. Malgré la signature des traités internationaux, la pratique persiste. A Dédougou, une femme a créé un centre pour accueillir les jeunes filles enceintes en détresse.

 

Au Burkina Faso, l’âge légal pour se marier est de 17 ans pour les filles et 20 ans pour les garçons. Pourtant, l’Unicef publie des chiffres alarmants sur le pourcentage de mariages précoces, c’est-à-dire avant l’âge légal. Ainsi, 8,9 % des femmes âgées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 15 ans et plus de la moitié avant 18 ans. En 2015, le gouvernement burkinabé a mis en place une stratégie nationale pour lutter contre les mariages précoces. Près de cinq ans plus tard, le problème persiste, faisant des ravages psychologiques et physiques sur les femmes. Le pays est privé d’une partie de sa population active puisque ces jeunes filles sont déscolarisées dès leur mariage. Il n’existe pas de chiffres précis sur la pratique des mariages précoces car beaucoup d’unions religieuses ou traditionnelles ne sont pas inscrites sur l’état civil. Le phénomène touche majoritairement le Sahel et l’Est du pays.

A Dédougou, le centre Notre Dame de la Visitation accueille des jeunes filles en détresse, enceintes ou avec enfants. Dans la majorité des cas, ces femmes sont en rupture avec leur famille en raison d’une grossesse hors mariage, du refus d’un mariage forcé, de la pauvreté ou d’une tentative d’enlèvement. Créé et dirigé par Nathalie Dakuo, ce centre a sauvé des centaines de vies, aussi bien les jeunes filles que leurs enfants.

 

« Toutes les filles ont besoin de protection »

 

Nous sommes en 2004. Nathalie Dakuo est bénévole au service de la pastorale des familles. Avec son époux, elle accompagne et aide des familles à Dédougou, à l’Ouest du Burkina Faso. « J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de jeunes filles seules qui venaient nous rencontrer pour demander de l’aide. Comme leur cas ne rentrait pas dans les cases du programme, nous avons trouvé un petit local pour les accueillir une fois par semaine », se souvient Nathalie Dakuo. Lors de ces rencontres hebdomadaires, les jeunes filles peuvent parler en toute liberté, être écoutées et apprendre la broderie. Mais, après toutes ces années, la quadragénaire souhaite arrêter cette activité afin de se consacrer à ses enfants. Pourtant, elle fera une rencontre qui changera radicalement sa vie.

Tout commence par un acte désespéré d’une jeune fille dans un village non loin de Dédougou. « Après avoir accouché, elle avait directement jeté son enfant dans un puits », se souvient Nathalie Dakuo, « mais l’enfant a survécu. » Dans le village, tous condamnent la fille pour son acte criminel. Tous, sauf Nathalie Dakuo qui a su voir au-delà des faits. « Son histoire, sa détresse m’ont énormément touchée. » Nathalie prend la jeune fille sous son aile et l’aide à s’occuper de son bébé. « Je lui ai appris à prendre soin de lui : l’alimentation, l’hygiène etc. Dans un second temps, il fallait aussi l’aider à être indépendante. Nous lui avons installé une sorte de petit pressing qui lui permettait de gagner un peu d’argent. »

Très rapidement, les demandes d’aide affluent tant et si bien que Nathalie Dakuo décide de créer un centre pour accueillir les filles enceintes et jeunes mères rejetées par leur famille. Avec le temps, le centre s’est ouvert aux jeunes filles en détresse dans l’espoir qu’elles échapperont aux grossesses précoces. « Je me souviens d’un papa qui n’avait pas d’argent pour s’occuper de sa fille. Il voulait nous la confier mais, à l’époque, nous n’accueillions que les femmes enceintes. Il m’a répondu qu’il ferait en sorte que sa fille soit enceinte pour qu’elle aille chez nous… »

Le poids des traditions pèse lourd dans la société burkinabée. Une fille pubère doit être mariée rapidement pour « éviter les grossesses précoces qui sont un déshonneur pour les familles. Les femmes enceintes hors mariage portent malheur », explique la directrice, « si un homme de la famille leur adresse la parole, les croyances affirment qu’il peut mourir… »  Il en va de même dans les cas de viols ou d’incestes. Parfois, ce sont les familles qui nouent des alliances en échangeant des enfants par le mariage. « Nous sommes disponibles nuit et jour pour accueillir ces filles en fuite. » L’équipe du centre, composée de treize personnes dont plusieurs sont bénévoles et une religieuse, réalise de la médiation familiale pour les filles en rupture afin qu’elles retournent vivre chez elles en toute sécurité. Le travail de Nathalie Dakuo et les bienfaits du centre sont reconnus par les services sociaux et les autorités.

L’un des fléaux du Burkina Faso est le rapt de femmes. « Si elle refuse de se marier, l’homme à qui elle est promise vient chez elle l’enlever. » Ainsi, le centre apporte aussi une protection pour ces jeunes filles. La directrice a déjà reçu des menaces de mort. « Toutes les filles ont besoin de protection », affirme avec courage Nathalie Dakuo, « un jour, nous avons accueilli une jeune fille mineure qui avait eu un bébé. Le père est venu au centre prendre l’enfant de force. » Dans ces cas précis, qui relèvent de la justice, la directrice n’hésite pas à porter plainte. « Le père de l’enfant était militaire, ce qui complique la situation… Nous avons prévenu les services sociaux qui sont allés voir l’officier supérieur. Sous la pression, le père a rendu l’enfant. »

 

Une prise en charge intégrale

 

La directrice porte une vision intégrale de la prise en charge des jeunes filles : l’écoute, les former aux soins des enfants et la formation professionnelle, indispensable pour faciliter leur retour dans les familles. L’écoute tient une place centrale dans l’accueil afin de les rassurer et de leur redonner confiance en elles. Les femmes et jeunes filles qui arrivent au centre ont reçu très peu d’éducation en raison de leur mariage ou grossesses précoces et elles ont été obligées d’abandonner l’école. Par ailleurs, elles manquent de connaissances sur le fonctionnement de leur corps, de la sexualité ou encore des soins à apporter à un bébé. « J’ai vu un bébé mourir par manque de soins », se souvient avec émotion Nathalie Dakuo. La prise en charge de l’enfant n’est pas simple et beaucoup souffrent de malnutrition. Dans les cas graves, la directrice envoie les filles et leur bébé au centre de nutrition mère Thérèsa. « Nous organisons des causeries éducative sur la sexualité. Mais il arrive que ce ne soit pas suffisant par manque de place dans nos locaux… » Lorsqu’il n’y a plus de place au foyer, les jeunes filles sont logées dans des petites maisons partagées à la périphérie de la ville. « Cette année, deux de nos filles qui y habitent sont tombées enceinte », déplore Nathalie Dakuo.

A ce jour, le centre est composé de trois maisons : un foyer pour mères et enfants, un foyer pour les jeunes filles pauvres et un centre de formation professionnelle. « Dans le premier foyer, nous accueillons onze mamans âgées de 16 à 26 ans », explique Nathalie Dakuo. « Pour sortir de l’extrême pauvreté, l’accueil n’est pas suffisant pour ces femmes : elles doivent pouvoir être indépendantes financièrement. » Le centre propose une formation d’une durée de deux à trois ans en couture ou coiffure ou tissage traditionnel qui comprend en plus l’apprentissage du pressing, l’informatique et la broderie. « Nous leur faisons faire des stages dans le salon de coiffure en face du centre. » Cette année, sept jeunes filles sur neuf ont obtenu leur certificat de qualification professionnelle en couture, reconnu par l’Etat. Pour l’année scolaire 2018/2019, 86 jeunes filles sont prises en charge par le centre et formées (couture, coiffure, tissage ou scolarisation) en plus de 28 enfants.

L’une des difficultés du centre est de faire face au découragement et à la détresse de ces jeunes filles. Un vrai défi pour Nathalie Dakuo. « Il m’arrive d’être dépassée par ce que j’entends ou ce que je vois. Un jour, une jeune fille a demandé à me voir en entretien. Elle avait l’air profondément déprimée quand je l’ai reçue dans mon bureau. Elle s’est assise et est restée une heure sans prononcer un seul mot. Je ne savais pas quoi faire. » En sortant, cette jeune fille a demandé un deuxième rendez-vous avec la directrice, « qui s’est déroulé de la même manière. » La directrice a demandé à un psychologue de venir consulter certaines jeunes filles, « ça a bien fonctionné ! Mais sa prestation coûtait très cher et nous avons été obligées d’arrêter. » Ce suivi psychologique est pourtant l’un des grands besoins de ce centre pour les jeunes filles. « Quand quelqu’un te raconte que son propre père la ligote comme une chèvre pour ensuite l’accrocher à un arbre et la battre… Qu’est-ce que tu réponds… ? » Sur les conseils d’une amie religieuse, Nathalie Dakuo va s’inscrire à une formation sur l’écoute et le soutien psychologique. « Je ne suis pas très à l’aise. J’ai souvent envie de pleurer avec mes pensionnaires quand elles me racontent leur histoire. »

Les besoins du centre sont donc immenses. « Nous avons trois priorités : être autonome sur le plan alimentaire, résoudre les problèmes de malnutrition des enfants et avoir plus d’espace pour accueillir mères et enfants. »

Aux yeux de Nathalie Dakuo, les besoins ne feront que s’accroître en raison de la situation sécuritaire dramatique qui ébranle le Burkina Faso. « La guerre va amener beaucoup de misère. Nous avons observé un afflux de jeunes filles venant du Nord pour se réfugier. Elles sont seules, isolées et sans ressource. »

Ce projet est soutenu par la Fondation Raoul Follereau depuis juin 2019.