Jeudi 16 janvier 2020, Madame Hélène Carrère d’Encause a remis à sœur Dolorès, partenaire de la Fondation Raoul Follereau au Niger depuis 1993, le prix Raoul Follereau dans les salons de l’Académie française.
Sur son téléphone, sœur Dolorès fait défiler des photographies. Un militaire, une infirmière, des petites filles et garçons avec leurs parents… Un sourire flotte sur ses lèvres. « Ce sont tous des enfants d’anciens malades de la lèpre. Je les ai connus tout petit. Regardez comme ils ont réussi dans leur vie… »
De petite taille, cheveux d’argent, sœur Dolorès, religieuse espagnole de l’Assomption, a passé plus de cinquante ans en Afrique. « Le charisme de notre ordre est l’aide à l’enfance dans trois volets : éducation, santé et la formation. Mes débuts en Afrique, je l’ai fait en Côte d’Ivoire en 1963, trois ans après l’indépendance du pays, puis au Niger. » Dans un premier temps, sœur Dolorès s’occupe d’une école pour les enfants nomades du Niger, près d’Agadès, en territoire touareg. « La congrégation m’a demandé de prendre de travailler dans un collège à Zinder en 1986. »
Zinder est la deuxième plus grande ville du Niger. Située à la frontière avec la Nigéria, la Zinder est à environ 400 kilomètres de la ville de Diffa, fief de Boko Haram au Nigéria. Si le Niger est un pays de confession majoritairement musulmane, les relations avec les chrétiens ont toujours été placées « sous le signe de la confiance », comme le souligne sœur Dolorès. « Il y avait seulement deux cent familles chrétiennes à Zinder. » A son arrivée, la religieuse découvre une face cachée de la ville. « Il y avait beaucoup de lépreux qui mendiaient dans les rues dont une majorité de femmes et d’enfants… Leur situation dramatique m’a beaucoup touchée. » Intriguée, la sœur va à leur encontre. « Au début, nous discutions simplement. Les malades de la lèpre vivaient complètement exclus de la ville, en périphérie, dans des cabanes de paille. » Mis au banc de la société, ces derniers étaient victime d’une grande discrimination de la part du reste de la population. « Lorsque la ville souhaiter s’étendre, les autorités détruisaient le quartier des lépreux qui se réinstallaient plus loin dans des conditions sanitaires déplorables. » Avec le temps, sœur Dolorès tisse des liens de confiance. « Je suis allée dans leur quartier, puis leur maison, puis leur famille », se souvient la religieuse. Les habitants de Zinder ne comprenaient pas sa démarche. « Des enfants m’arrêtaient dans la rue pour me dissuader de me rendre dans le quartier lépreux. Beaucoup pensaient que la maladie était très contagieuse et le fruit d’une malédiction. » Lorsque la sœur parvient à intégrer la communauté des exclus, elle décide d’agir. « Dans ces quartiers, on naissait et mourrait dans l’anonymat, sans état civil. Les hôpitaux ne voulaient pas les prendre en charge, les enfants n’étaient pas scolarisés. Notre présence auprès d’eux était notre premier témoignage pour sensibiliser les habitants de Zinder. »
En 1986, sœur Dolorès contact le représentant de la Fondation au Niger lui demandant de l’aide. « Nous avions les mains vides mais le cœur plein. La Fondation Raoul Follereau nous a remplis les mains pour agir et apporter l’assistance nécessaire. » avec l’accord du chef du village, les sœurs de l’Assomption et la Fondation Raoul Follereau construisent ensemble un dispensaire dans le quartier lépreux en 1993. « Au départ, nous soignions les complications de la lèpre, les maux perforants plantaires et dépistions les enfants des anciens malades de la lèpre. » Pour mieux agir en faveur des malades, la sœur se forme en Espagne, au service de léprologie à Santario Fontilles. « Dans la maladie, il y a deux aspects : social et médical. Un infirmier, retraité de la fonction publique au Niger, m’a rejoint dans l’aventure. Il s’occupait de la prise en charge médicale des malades. » Sœur Dolorès s’attelle à la réinsertion des familles de malades et d’anciens malades dans la société. « Je faisais beaucoup de sensibilisation, de l’éducation à la santé, de formations pour les jeunes afin d’améliorer leurs conditions de vie et aider les enfants des malades à s’en sortir. » Au fil des années, le dispensaire se développe sous l’impulsion de sœur Dolorès et devient un centre socio-éducatif.
Un travail qui porte ses fruits
Un travail qui porte ses fruits car à ce jour, « nous avons fait tomber la barrière sociale. Nous avons bâti des maisons en argile autour du dispensaire ainsi qu’un collège. Aujourd’hui, le quartier complètement mixte. » Cependant, cette frontière invisible qui sépare tacitement les malades des autres n’est pas complètement de l’ordre du passé. « Je connaissais une jeune infirmière, fille d’un couple d’anciens malades, qui souhaitait épouser un homme qui travaillait dans son service. Lors de la rencontre entre les deux familles, les parents du garçon ont refusé ce mariage… », déplore sœur Dolorès.
En 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, d’importantes manifestation ont lieu dans le monde musulman. Les sœurs de Zinder reçoivent des menaces de la part du groupe terroriste Boko Haram. « Ils nous disaient des choses très méchantes mais nous avions pris la décision de rester. » Pourtant, les hommes de Boko Harma mettent leurs menaces à exuction et attaquent le centre des sœurs de l’Assomption ainsi que le presbytère où elles avaient touvé refuge. « J’y vois la Providence… Ils ne nous ont jamais trouvé. » Suite à ces évènements, tout était à reconstruire. La congrégation décide un an plus tard de rappeler sœur Dolorès en Espagne et de placer les autres sœurs en sécurité à Niamey, dans la représentation de la Fondation Raoul Follereau.
Le jeudi 16 janvier 2020, pour son courage et son dévouement envers les exclus, sœur Dolorès a reçu le prix Raoul Follereau de l’Académie française des mains de Madame Hélène Carrère d’Encausse à l’Institut de France. « C’est une grande joie, au nom de toute la congrégation et pour tout le travail réalisé à Zinder », souffle sœur Begoña, venue à l’Institut assister à la cérémonie, « sœur Dolorès est une personne très humble. Même si elle n’est plus à Zinder, l’œuvre continue. Cela signifie que nous avons réussi et que Dieu est là. » Dans son discours, sœur Dolorès a souligné l’importance et le bonheur du travail en équipe, avec la Fondation Raoul Follereau, et sa joie de voir le centre continuer à être au service des malades malgré un contexte géopolitique instable.