[Crédit photo en Une de l’article : Famille Kizito]

 

Frappée il y a peu par un terrible tremblement de terre, Haïti peine à se relever. L’Île des Antilles est en proie à une grave crise politique et vit une flambée de violence en raison de la mainmise des gangs sur sa capitale, Port-au-Prince. Sœur Paësie, partenaire de la Fondation Raoul Follereau, s’attend à une rentrée sous tension pour les enfants du bidonville Cité Soleil.

 

 

Haïti, surnommé « la perle des Antilles », hérite d’une histoire tumultueuse dans le sang et les larmes. Après avoir été colonisée par les Espagnoles puis les Français, l’île accède à son indépendance en 1804 mais n’est jamais réellement parvenu à une stabilité politique et économique. Les causes sont diverses : insécurité, catastrophes climatiques, ingérence internationale, corruption des élites, esclavagisme moderne, système encore très féodal, la dette de l’indépendance… La pauvreté concerne 70 % de la population et, selon l’ONU, un tiers de la population a besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Dans ce contexte délétère, sœur Paësie, une religieuse française installée à Port-au-Prince, a fondé une association, Famille Kizito, afin de venir en aide aux enfants des rues des bidonvilles de Port-au-Prince. Une capitale connue pour son haut niveau d’insécurité qui a atteint son paroxysme le 7 juillet 2021 avec l’assassinat du président, Jovenel Moïse, par un commando. Aujourd’hui, la religieuse s’inquiète pour la sécurité des enfants vivant dans les bidonvilles, en proie à une violente guerre de gangs.

 

 

Porter la Lumière dans les bidonvilles

 

 

Créée en 2017, l’objectif de l’association Kizito est de protéger les enfants de la violence en leur permettant de s’épanouir par l’éducation et les activités sportives et culturelles, en plus d’un accompagnement spirituel. A ses débuts, une ancienne porcherie faisait office de petite école autrement dit « centre d’éducation informel ». Les jeunes du quartier titulaires d’un baccalauréat mais n’ayant pas assez d’argent pour continuer leurs études, deviennent les instituteurs. Les cours dispensés vont du niveau maternel au CE2. En raison des guerres de gangs, sœur Paësie se rend compte de la nécessité d’ouvrir une école dans chaque quartier du bidonville. « Pour leur sécurité, les enfants ne se déplacent pas au-delà de leur quartier. » A ce jour, la Famille Kizito a ouvert huit écoles et scolarise 900 enfants.

Sœur Paësie est surnommée la « maman de Cité Soleil ». Crédits photos : Famille Kizito

En Haïti, le secteur public ne représente que 20 % de l’offre éducative. « Beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école car ils n’ont pas d’argent », précise sœur Paësie, « il m’est arrivée plusieurs fois de croiser des écoliers sur le bord de la route vers 10 heures du matin, renvoyés de classe car ils n’avaient pas de chaussures… » En plus des petites écoles, sœur Paësie a ouvert des maisons d’enfants. « Ces maisons accueillent des enfants seuls qui choisissent de quitter la rue ou une situation familiale difficile. Nous avons 5 maisons avec 80 enfants dont nous finançons les études. Nous essayons de retrouver leurs parents et, chaque fois qu’il est possible, de recréer un lien avec eux. » Le nombre d’élèves scolarisés dans les centres éducatifs de sœur Paësie est variable dans l’année. « Soit les parents se sauvent plusieurs mois pour fuir les guerres de gangs, soit les parents ne peuvent pas payer leur loyer et quittent le bidonville… De nombreux enfants dorment dans la rue avec leur famille. »

L’objectif de la religieuse est de créer des lieux où les enfants sont en sécurité et, dans l’idéal, les accompagner jusqu’à leur indépendance. « Le plus grand et premier souci de ces jeunes, une fois stables, est de s’occuper de leur frères et sœurs, de pouvoir subvenir à leurs besoins. Pour cela, ils s’appliquent beaucoup à l’école. Nous avons des grands âgés de 14 ou 15 ans qui suivent des cours professionnels. »

La situation sanitaire dans les bidonvilles est catastrophique. L’eau s’achète au prix du seau et la majorité des enfants prennent leur unique repas à l’école. Tuberculose et malnutrition font des ravages. Si la situation générale du pays est catastrophique, sœur Paësie y voit aussi « la présence de Dieu. Ce qui est beau, c’est de voir en ces enfants une vraie confiance. Ils ont cette paix qui est contagieuse, qui nous aide à avancer. Dans ma mission, je ne m’attarde pas sur l’état du pays, sinon on baisse vite les bras, mais sur la personne qui est devant moi. » Les actions de la Famille Kizito « n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais si cette goutte n’existait pas dans l’océan, elle manquerait. »[1]

 

 

« Certains de mes élèves sont morts, tués par balles »

 

 

Pour sœur Paësie, la priorité est donnée aux enfants. « Depuis quelques mois, la situation est très compliquée dans les bidonvilles. C’est l’anarchie totale. Les journées sont rythmées par des affrontements violents. Cette situation affecte directement la vie des plus démunis qui vivent dans les bidonvilles. Les marchés sont fermés ou alors il est trop dangereux de s’y rendre, les gens ne peuvent pas sortir de chez eux, les maisons sont incendiées et peuvent être criblées de balles à tout moment.  Il y a quotidiennement des affrontements entre les gangs. Les habitants, hommes, femmes, enfants, sont les premières victimes collatérales de ces violences. Certains de mes élèves sont morts, touchés par des balles perdues. »

L’approche des élections présidentielles a précipité le pays dans le chaos. L’opposition et le parti au pouvoir ont armé les gangs soit pour prendre le pouvoir, soit pour y rester. L’entrée sud de Port-au-Prince est contrôlé par un gang. Les membres de ce dernier ont arrêté et dérobé une ambulance en provenance du sud qui transportait des victimes du tremblement de terre. En effet, le 14 août dernier, trois département du sud-ouest de l’île ont été ravagé par un séisme d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter. Le bilan des victimes s’alourdit de jours en jours avec plus de 2 200 morts. A cette catastrophe naturelle s’est ajoutée depuis le 17 août la tempête tropicale Grace, aggravant la situation sur de nombreux plans.

A Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, a été épargné bien que les habitants aient ressenti de légères secousses sismiques. « Mes priorités sont la mission et les enfants de Port-au-Prince. Ils sont plus en sécurité dans les locaux de l’école que chez eux », souligne sœur Paësie, « pour le moment, ce sont les vacances scolaires. Nous avons pu emmener une centaine de jeunes en dehors de la capitale pendant deux semaines. Malheureusement, nous n’avons pas pu faire de camp d’été en raison du climat de violence qui règne dehors. » Les maisons d’accueil, les centres de catéchèse et les écoles de l’association Famille Kizito apporte une aide précieuse et protection à plus d’un millier d’enfants des bidonvilles.

La rentrée scolaire se fera dans un climat sous tension. « Je suis devenue une vraie haïtienne, je vis au jour le jour. Pour le moment, nous préparons la rentrée comme si de rien n’était. L’instabilité est telle qu’il nous est impossible d’anticiper. Mais même s’il y a ce conflit de gangs et cette violence, les enfants sont là donc nous devons continuer notre mission », affirme sœur Paësie.

[1] Citation de Mère Teresa, fondatrice des Missionnaires de la Charité