Après la révolution puis l’explosion, l’impact de la crise sur les femmes et les enfants est dramatique. Une réalité difficile à voir : violences conjugales, violences physiques et sexuelles sur les enfants, abandons des enfants, prostitution… A Mrouj, le père Roland se bat pour que les enfants retrouvent leur dignité.
Sur les hauteurs de Mrouj, un léger vent frais adoucit l’air. En ce mois de juin, la chaleur plombe l’atmosphère. L’école des pères Antonins se trouve le long de la route principale qui serpente la ville. Dans la cour intérieure de l’école, les sacs d’aide alimentaire et de vêtements ont remplacé les élèves. Cette école, qui existait depuis 1965, a dû fermer ses portes l’année précédente en raison de la crise. Le père Roland, le directeur, concentre tout son amour et son énergie à l’orphelinat, la deuxième vocation de l’école.
« A chacun son histoire sacrée. » C’est en ces termes qu’Abouna (père en arabe) Roland évoque avec pudeur les histoires de vie des enfants dont il a la charge. Ils sont 42 enfants à vivre au sein de l’orphelinat. Âgés de 3 à 15 ans, ils tentent de reprendre goût à la vie. Tous sont des enfants orphelins, battus ou abusés sexuellement. Ils sont druzes, chrétiens, sunnites… La plupart sont originaires de Beyrouth, de la région de Nabaa, l’une des plus pauvres.
« Je donne toujours la priorité aux orphelins, aux enfants victimes d’abus sexuels, aux enfants dont les parents sont en prison ou prostitués. Il y autant d’histoires que d’enfants ! Ils sont orientés chez nous par le biais des affaires sociales, de la paroisse ou de l’évêque. Quand ils arrivent chez nous, ils n’ont rien du tout. On leur donne tout ce qu’il faut pour vivre dignement et aller à l’école du village. » A l’étage de l’ancienne école se trouvent les dortoirs des garçons et des filles. Des lits superposés alignés et faits au carré perlent le long d’une vaste pièce. Des rayons de soleil passent à travers les rideaux pour caresser doucement les oreilles d’une peluche. L’ambiance est paisible. « Nous regardons des films de temps en temps tous ensemble le soir. Mais, on met une semaine à le regarder en entier à cause des coupures d’électricité. » La crise n’épargne pas l’orphelinat. « Les pensionnaires vont à l’école du village. A la fin de l’année, nous récupérons les cahiers d’école et nous effaçons ce qu’il y a dessus pour le remettre en circulation la semaine suivante. Un cahier coûte 14 dollars ! Nous ne pouvons pas nous permettre d’en acheter chaque année. » Il en va de même pour le chauffage, utilisé avec parcimonie. Abouna Roland soupire légèrement : « En tous cas, on se débrouille. On fait de notre mieux ! »
Un délitement du système familial
Le père Roland a recréé une atmosphère et un cadre structurés et familiales pour ces enfants qui ont une image brisée de la famille. « Nous avons un règlement intérieur pour que les enfants vivent ensemble. Nous venons tous de milieux différents et donc nous devons nous respecter. J’ai parfois un rôle de père », souligne abouna Roland avec un sourire. « Nous sommes 19 adultes pour s’occuper des enfants. Il y a une monitrice, des surveillants, des assistantes sociales, sept personnes qui viennent pour aider les enfants à faire leurs devoirs et des psychologues. » Avec les enfants, les psychologues abordent en groupe des sujets comme le harcèlement, la communication, la vie affective et sexuelle.
Le père Roland a fait le choix de s’occuper uniquement des enfants et non de leurs parents. « Cela fait trois ans que je mets mon énergie pour les enfants. Je n’ai le temps ni le budget pour m’occuper en plus des parents donc je ne préfère pas essayer. » La voix du prêtre trahit une certaine colère envers ces parents défaillants voire dans certains cas maltraitants. « A l’époque où l’école était encore ouverte, je m’étais rendu compte qu’un élève était battu par ses deux parents. Je n’ai pas hésité une seconde : j’ai appelé la police. Le juge pour enfant l’a placé chez nous. Je peux vous assurer, l’enfant ne retournera pas chez son père. »
Âgé d’une quarantaine d’années, le père Roland est haut de taille avec un peu d’embonpoint, il marche et parle avec le calme des eaux tranquilles qui colorent ses yeux bleus. Les enfants sont proches de lui et n’hésitent pas lui lancer des défis sportifs sur le terrain de basket. Le prêtre a quitté une situation prestigieuse et confortable de directeur d’un établissement scolaire réputé à Tripoli pour servir les enfants en grande détresse. « Lorsque j’étais directeur, j’ai accompagné un jeune élève, Saad, dans sa lutte contre le cancer. Ce jeune garçon a changé ma vie. Il est vivant, Dieu merci. J’ai arrêté mon doctorat. Je ne voulais plus être un professeur prestigieux mais m’occuper des pauvres. » Le prêtre désire rester dans le social pour le reste de vie religieuse. « Je veux servir. Cela prend beaucoup d’énergie. Parfois, je n’ai même pas le temps de prier. »
Face à la crise que traverse le Liban, il constate le délitement du système familial. Il est seul pour faire face avec ses maigres moyens. Un constat partagé par les sœurs de la Charité du Bon Pasteur, basées sur les hauteurs de Beyrouth. Elles n’ont pas baissé les bras face aux parents et tentent toujours de renouer. Une mission de plus en plus difficile. La consommation d’alcool et de drogue, la violence et la prostitution n’ont fait qu’accroître au sein des foyers au point de mettre la vie des enfants en danger.