Depuis 1987, le centre Nouveau Relais des Jeunes (NRJ) accueille les enfants des rues de Tananarive, la capitale de Madagascar. La pauvreté a fortement augmenté ces dernières années poussant les équipes à prendre en charge des enfants parfois très jeunes.

 

 

Une odeur nauséabonde flotte dans l’air. Des détritus bouchent les égouts dans lesquels une eau saumâtre stagne depuis trop longtemps. Autour, hommes, femmes et enfants circulent dans un balai incessant. Nous sommes dans le quartier d’Andavamamba, un des bas quartiers de la Tananarive, la capitale de Madagascar. Autrefois calme, cet endroit est devenue une zone de grande insécurité avec un fort taux de cambriolage et qui abrite les personnes les plus pauvres. C’est ici qu’il y a 35 ans, un prêtre a décidé de créer un centre d’accueil pour les enfants des rues : le centre NRJ. A ce jour, en raison de la crise que traverse le pays, la demande explose.

 

12 000 enfants des rues

 

La silhouette fine et de petite taille, le père Ephrem est le directeur du centre NRJ : « Le centre a vu le jour en 1987. Un prêtre français, qui se trouvait dans le quartier, fut agressé par une bande de jeunes. Il est revenu rencontrer ses agresseurs afin de discuter avec eux. Il voulait connaître ces jeunes. Il a senti la pauvreté extrême des habitants du quartier. Une pauvreté ressentie de manière plus forte encore chez les jeunes de la rue, condamnés à faire les poches car rien ne leur était proposé. Alors, c’est comme cela que tout a commencé. Le père voulait les aider à préparer un avenir. »

 

Deux petites filles du gîte. © Marie-Charlotte Noulens

 

Dans les années 90, les enfants des rues étaient en réalité le fruit de l’exode rurale. Ils ont fui leur village pensant trouver à Tana une vie meilleure. « Aujourd’hui, ce sont des enfants nés en ville. Il y a mille et une raisons pour que ces enfants arrivent dans la rue. Pour une grande majorité, c’est à cause de problèmes familiaux. Certains sont obligés de travailler pour aider leur famille, d’autres sont orphelins et doivent survivre seuls, d’autres encore ont fugué mais c’est plus rare », souligne le prêtre d’une voix douce. Dans la rue, les enfants sont exposés à de nombreux dangers : exploitation de toutes sortes, drogues, alcool, violence… A Madagascar, selon l’UNICEF, plus de 12 000 enfants vivent dans les rues et 28 % des enfants âgés de 5 à 17 ans travaillent déjà. « Ils ne sont pas d’emblée conscients de la gravité de la situation et des choses qu’ils subissent », rappelle le père Ephrem. Ils vivent sur les étalages des marchés, le long de la voie de chemin de fer, seul, en bande ou en famille et « dorment là où le soleil se couche. La première chose qu’ils ont en tête au réveil, c’est de trouver de quoi manger. »

 

Le terrain de football du pensionnat.

 

Le père Ephrem s’est entouré d’une vingtaine d’éducateurs spécialisés qui rayonnent dans la rue. Cette présence leur permet de repérer les enfants en détresse et d’établir un lien de confiance avec eux. Un lien difficile à tisser tant ils sont blessés. « Chez nous, le travail commence toujours par la rue. Les éducateurs invitent les jeunes à venir aux animations du centre. Ceux qui le souhaitent peuvent rester dormir le soir au gîte. » Le gîte, c’est une enfilade de deux bâtiments à proximité du centre qui rassemble une petite école, un dortoir pour les filles et un dortoir pour les garçons. C’est le premier point d’entrée des enfants venant de la rue. Dans le dortoir des filles, il règne une ambiance joyeuse. Sur chaque lit, les draps sont tirés au carré.

Njana, 13 ans, nous montre son casier. A l’intérieur, quelques vêtements pour seuls trésors. « C’est ma mère qui m’a amené ici car elle ne pouvait plus s’occuper de moi. Elle a des difficultés financières », explique la petite fille, « j’aime beaucoup cet endroit ! j’apprends des choses à l’école et tous les samedi les animateurs organisent une soirée où on se raconte des choses. Avec mes amies, je bavarde un peu le soir aussi. » Njana souhaite devenir médecin et aime particulièrement le français. « Les enfants peuvent rester une nuit ou plusieurs semaines. Une fois stabilisé, nous leur proposons de passer dans l’autre centre, à l’internat. Là, ils peuvent continuer d’aller à l’école ou apprendre un métier. Nous proposons deux formations : filière bois, pour la menuiserie notamment, et filière métaux », souligne Michelle, une éducatrice. Il est plus difficile pour le centre d’accueillir les jeunes filles car la structure n’est pas adaptée. Elles sont donc placées chez des religieuses à Antsirabe où elles peuvent suivre leur scolarité. La Fondation Raoul Follereau aide le centre en finançant une vingtaine de bourses scolaires. « Quand les enfants arrivent au gîte, on parle avec eux. On leur demande pourquoi ils sont venus, s’ils ont de la famille. Ensuite, on fait une enquête sociale », souligne Ronaldo, le responsable du gîte, « on essaie toujours de les réinsérer au sien de leur famille. Mais si l’on voit que l’enfant est en danger, on fait un dossier pour qu’il aille vivre au sein de notre pensionnat. Mais pour cela, il nous faut l’accord des parents… » Le lien avec la famille est loin d’être négligé par le centre NRJ.

 

Aider les familles

 

Njana, 13 ans, vit au gîte. © Marie-Charlotte Noulens

« On accueille des enfants beaucoup plus jeunes qu’avant. La rue devient de plus en plus jeune. La pauvreté est devenue trop forte donc les parents n’ont plus le choix que de faire travailler leurs enfants », explique le père Ephrem, «je me souviens d’une maman qui est venue demander à récupérer sa fille pour qu’elle fasse la manche car elle ne pouvait plus payer le loyer. C’est très dur pour nous de dire non.» Le centre a donc mis en place un service d’accompagnement des familles pour se prémunir de ce genre de situation. «Ça tranquillise l’enfant de savoir que ses parents sont soutenus.» Tout comme Ronaldo, 13 ans, accueilli dans le gîte qu’il quitte parfois pour y revenir ensuite : «Je suis parti car ma grand-mère me manquait. Mon père nous a abandonné mes frères et moi lorsqu’il s’est remarié au décès de ma mère. J’ai connu le centre par le bouche à oreille. Au départ, je suis venu simplement pour trouver un endroit où dormir. Aujourd’hui, je reste aussi car je peux aller à l’école. J’aime le chant, la poésie, le calcul et l’écriture !» L’adolescent ne fait pas son âge. De petite taille, seul son visage endurci par la vie de la rue sème le doute sur son âge. A Madagascar, un enfant de moins de 5 ans sur deux souffre d’un retard de croissance par rapport à son âge en raison de la malnutrition. «Avant la crise, nous prenions en charge 10 familles très vulnérables. Nous sommes à 110 familles !», souligne le directeur du centre. Les équipes leur apportent une aide administrative et un soutien moral.

Le regard du père Ephrem se tourne à présent vers le sud du pays qui subit une grave crise alimentaire. Avec le centre, il mène une réflexion pour aider les jeunes de la région à sortir de la pauvreté en apprenant un métier à Tana pour ensuite rentrer dans leur village et trouver un travail.