Depuis le coup d’État et l’invasion des islamistes, le Mali est un pays déchiré par la guerre. Au milieu de ce chaos, les sœurs de l’institut des Filles du Cœur Immaculé de Marie, installée à San, recueillent des enfants rejetés par leur famille.
La nuit tombe sur San, au Mali. Attablées pour le repas du soir, les religieuses de l’institut des Filles du Coeur Immaculé de Marie (FCIM) se partagent du tô, plat traditionnel africain. Dans le silence de la brousse assoupie, seuls les ronronnements réguliers et lancinants des grillons emplissent la salle. Tandis que les derniers rayons de soleil effleurent les fenêtres, des cris d’enfants encore éveillés se font entendre. Nous sommes à l’orphelinat Dofini, dans la région de Ségou, où, avec beaucoup d’amour et de douceur, les religieuses recueillent des enfants devenus « indésirables ».
Des enfants indésirables
Les 88 enfants de l’orphelinat, âgés de 6 jours à 17 ans, ont tous un point commun : leur mère est morte en leur donnant la vie. « Il y a beaucoup d’ignorance au Mali », explique sœur Marie-Pascale, « la famille ne veut pas s’occuper de l’enfant quand la mère décède car ce sont des porte-malheurs. Aucune femme encore en âge d’enfanter ne veut s’occuper d’un bébé qui a tué sa mère. » La religieuse est la plus ancienne de l’orphelinat. De petite taille, le pagne noué à la taille, les manches retroussées, sœur Marie-Pascale tire son extraordinaire dévouement pour les orphelins de son histoire personnelle. « Je suis moi-même orpheline, née prématurément. J’ai été recueillie par la sœur d’une religieuse. Je l’aimais beaucoup… »
Dans une chambre un peu à l’écart, nous apercevons à travers l’entrebâillement de la porte deux berceaux de fer et une simple natte sur le sol. « Voici ma chambre », annonce sœur Marie-Pascale d’une voix douce et accueillante. Dans l’un des berceaux, une petite forme s’agite sans bruit. « C’est notre dernier arrivé. Il a à peine 6 jours. Son frère jumeau est décédé chez nous… » Enfoui dans un pyjama trop large, le minuscule bébé dort. « Les femmes ne sont pas en bonne santé dans les villages de brousse. C’est pour cette raison que l’enfant est si maigre. » En grandissant, il est fréquent que les enfants demandent aux religieuses d’où ils viennent et où sont leurs parents. « Nous souhaitons que ces enfants puissent retourner dans leur famille un jour », explique sœur Esther, la supérieure des FCIM. Un vœu rarement possible à cause des croyances tenaces. « Un jour, une dame m’a dit que les fantômes des mères décédées viendraient me hanter », surenchérit sœur Marie-Pascale, un sourire en coin.
Malgré ces rumeurs et le manque de moyens, les religieuses se battent pour que l’orphelinat survive et n’ont jamais refusé un seul enfant. « Nous avons un potager, un verger, des moutons, des chèvres et des bœufs. Cette petite production couvre seulement 10 % de nos besoins », souligne sœur Sabine, la directrice de l’orphelinat, « en outre, nous n’avons plus d’électricité dans le bâtiment des bébés. Nous vivons principalement de l’aide de la Fondation Raoul Follereau et le reste, à la grâce de Dieu ! » Autrement dit Dofini en dialecte Boré…
« Plus jamais ça… »
Ce soir, dans la salle à manger, impossible de parler de l’orphelinat sans évoquer le passé, pourtant si proche. En 2012, un coup d’État éclate et la guerre, telle la gangrène, se propage du Nord vers le Sud du Mali. L’orphelinat est à 200 kilomètres, à peine, de Mopti. Les réfugiés affluent vers Bamako en passant par San, avec son lot d’histoires terribles. En janvier 2013, Kona est attaquée par les djihadistes. « Après Kona, c’est San… », souligne sœur Esther, la supérieure des FCIM. Entre deux éclats de rire, entrecoupés de profonds silences, lourds de souvenirs, les sœurs racontent comment l’orphelinat a vécu cette période de guerre.
« Lorsque que nous avons appris que Kona était sous le feu, nous voulions partir tout de suite. Mais comment faire avec 88 enfants ?! », se remémore sœur Marie-Pascale.
– Les bus coûtaient très chers…
– Oui mais, on l’aurait pris quand même !
– Un jour, le préfet m’a dit que nous devions rester car nous étions des femmes de foi. Moi je lui ai demandé : ‘‘eh ! Où est ta famille, hein ? Tu l’as mise à l’abri à Bamako. Nous aussi, nous voulons mettre nos enfants hors de danger’’. »
Perpétuellement sur le qui-vive, les religieuses décident de rester à Parana. L’incertitude est totale jusqu’à l’intervention de l’armée française, l’opération SERVAL. « Nous avons vu les colonnes de blindés monter vers le Nord. Tout le village les saluait, même nos enfants ! » Si l’intervention de l’armée française a permis un recul des islamistes en 2013, la situation sécuritaire reste instable en raison des multiples conflits croisés. La traite d’êtres humains, les kidnappings, le trafic de drogue et d’armes de contrebande financent largement les groupes djihadistes encore bien présents. Les attaques contre les civils et l’armée malienne persistent. « C’est le chaos au Nord. Nous ne savons plus qui est l’ennemi entre les règlements de compte, les conflits ethniques et les djihadistes… »
Le silence retombe dans la salle à manger des religieuses. Les assiettes sont vides, les fruits sont rangés. « Plus jamais ça », lâche sœur Esther, les yeux dans le vague.