Dans le district de Gagnoa, en Côte d’Ivoire, un projet de lutte contre la lèpre a transformé le quotidien d’un village oublié. Portée par la Fondation Raoul Follereau, cette initiative révèle comment une action ciblée, construite avec les habitants, peut changer bien plus que la santé publique : elle peut réveiller une communauté toute entière.
Dix jours de mission en Côte d’Ivoire, aux côtés de Pierre Velut, représentant de la Fondation Raoul Follereau dans le pays, avec Alice El Koury (cheffe de la transformation), Mathilde Cadour (chargée de mécénat) et Capucine Malleville (directrice du développement et de la communication) ont permis une immersion au plus près des réalités du terrain, au contact direct des équipes et partenaires engagés.
Sur place, l’impact des projets engagés est saisissant. L’efficacité des actions menées se mesure à l’engagement remarquable des personnels soignants, qui œuvrent avec détermination malgré des conditions souvent précaires. Leur professionnalisme et leur sens du service témoignent de la puissance d’un système.
Face à eux, des malades dont la résilience force le respect. Leur joie, souvent inattendue au regard des difficultés vécues, révèle une force intérieure qui dépasse la seule logique médicale. Ici, les parcours de soin incluent un travail essentiel sur l’estime de soi. Apprendre à s’aimer devient une étape décisive vers la guérison : une guérison qui passe autant par les traitements que par la restauration de la dignité.
Un village engagé dans un dispositif de lutte intégré offre un exemple concret des transformations profondes rendues possibles par une approche globale. Bien au-delà des résultats sanitaires, ce sont des dynamiques collectives, des liens sociaux renforcés et une espérance renouvelée qui émergent. Les fruits récoltés dépassent largement les attentes initiales, révélant ce que peut produire une lutte portée ensemble.
Moteur du changement : la communauté
À Otehoa, dans le district de Gagnoa, 5 000 habitants vivent sur un territoire éclaté, sans réel centre ni structure sanitaire fiable. Jusqu’à récemment, les habitants devaient parcourir plusieurs kilomètres pour accéder à une eau de qualité incertaine, pendant que la lèpre, silencieuse mais tenace, continuait de se propager. C’est dans ce contexte qu’a émergé un projet structurant, porté par la Fondation Raoul Follereau en partenariat avec la fondation Anesvad. L’objectif : organiser un dépistage actif des maladies tropicales négligées (MTN), rénover et agrandir le centre de santé, et installer un château d’eau avec six points de distribution accessibles.
Plutôt que d’imposer un modèle extérieur, la Fondation a proposé au chef de village de constituer un comité local, regroupant des figures reconnues de la communauté, hommes et femmes confondus. Ce comité s’est emparé du projet avec conviction. Sensibilisation de la population, accompagnement des malades, supervision du programme WASH (eau, hygiène, assainissement) : l’implication des villageois a été immédiate et déterminante. Très vite, les résultats ont dépassé les attentes. Le dépistage massif a permis une prise en charge rapide, les conditions d’hygiène se sont améliorées, et l’appropriation du projet par la communauté a renforcé le tissu social. Ce sont autant de victoires silencieuses, mais décisives.

Une communauté soudée et engagée ici représentée par les membres de son comité. ©Capucine Maleville
Quand la dynamique dépasse le projet initial
Fiers de leurs premiers résultats, les membres du comité n’ont pas attendu pour lancer de nouvelles initiatives : ouverture d’une école primaire, création d’un marché, campagnes de nettoyage, projets agricoles. Le projet initial a agi comme un catalyseur. À Otehoa, une capacité d’agir insoupçonnée s’est révélée, transformant non seulement le paysage, mais aussi l’élan collectif.
L’expérience d’Otehoa rappelle une vérité essentielle : les communautés savent mieux que quiconque ce qui est juste, durable et adapté à leur réalité. Le rôle de la Fondation n’est pas de faire à leur place, mais de créer les conditions d’un développement porté de l’intérieur. À Otehoa, la Fondation a accompagné sans diriger, soutenu sans s’imposer. Résultat : un village debout, confiant, prêt à construire son avenir.
Une promesse à l’échelle humaine
L’histoire d’Otehoa est celle d’une transformation en apparence modeste, mais qui dit beaucoup de ce que peut devenir un village lorsqu’on croit en ses forces vives. Là où certains ne voyaient qu’un foyer de vulnérabilité, un mouvement d’espérance a émergé. Non pas par miracle, mais par une combinaison de confiance, de méthode et de respect.
À l’heure où les grandes politiques de santé publique peinent parfois à atteindre les plus isolés, Otehoa rappelle que les dynamiques locales, soutenues avec justesse, peuvent ouvrir des voies durables. Et qu’il suffit parfois d’un projet bien conçu, d’un regard qui valorise, d’un accompagnement sans domination, pour réveiller une communauté et lui permettre de devenir pleinement actrice de son propre avenir.
Ce que la lutte contre la lèpre révèle ici, bien au-delà de la maladie, c’est la capacité d’une communauté à se relever quand on lui en donne les moyens – et à tracer un chemin qui inspire bien au-delà de ses frontières.

Deux écoliers, en congé estival, attendent avec impatience de découvrir la nouvelles école d’Otehoa. ©Capucine Malleville