Madagascar est l’un des pays les plus endémiques de la lèpre. A Marana, un centre de traitement de la lèpre appuyé par la Fondation Raoul Follereau, les malades retrouvent la santé et leur dignité. A l’image de la famille de Soavina, une fillette de 9 ans, ancienne malade de la lèpre.

 

De son petit pas assuré, sœur Sabine s’avance dans la cour pavée de l’hôpital. Un vent frais agite son voile bleu. L’hiver peine à se faire oublier dans la région des Hauts-Plateaux et Marana, minuscule village perché sur une colline rouge, grelote encore. Accompagnée du docteur Bertrand Cauchoix, elle part rendre visite à la famille de Soavina, une petite fille de 9 ans. Ancienne malade de la lèpre, l’enfant est un modèle de joie et de courage.

 

 

« Pourquoi moi ? »

 

Ancien village du roi lépreux appelé Ra Marana, Marana est devenu, en 1911, un centre de traitement de la lèpre avec la construction d’un hôpital puis d’un village pour les malades. Situé sur les hauteurs de l’hôpital, derrière un portail, celui-ci regroupe une soixantaine de petites maisons. Soavina s’engouffre dans l’une d’elles. L’intérieur est sobre mais propre. La petite se blottit contre sa maman, assise sur un tabouret de bois minuscule. Depuis 4 ans, Soavina vit ici avec ses deux frères, sa mère, sa tante et ses deux cousins. La petite  fille cache sa timidité et ses cicatrices de lèpre derrière de beaux yeux en amande et un large sourire. « Elle était très affaiblie quand elle est arrivée à Marana. Elle n’en a aucun souvenir », raconte sœur Sabine.

Fara et Dimby sont inséparables. © Marie-Charlotte Noulens

La religieuse est infirmière mais aussi la directrice du centre de traitement de la lèpre, « toute la famille vivait sous le même toit au village, situé à 70 km d’ici. La mère de Soavina, Dimby, a une sœur jumelle, Fara. Elles avaient toutes les deux la lèpre a un stade avancé à leur arrivée au centre. » Fara et Dimby sont désormais inséparables. Face à la maladie qui rongeait leur âme et leur corps, elles sont restées unies. Mais cela n’a pas toujours été le cas. « Avant la maladie, nous vivions chacune de notre côté avec nos conjoints », explique Dimby. La jeune femme de 40 ans a les mains en griffes, figées pour toujours, conséquence d’une prise en charge tardive de la lèpre. Ses cheveux sont délicatement nattés et ramenés en deux petits chignons sur les côtés, la coiffure traditionnelle malgache. Elle nous sourit. « Je ne savais pas ce qu’il m’arrivait. En dix ans, la maladie a progressé en moi. Mon mari m’a quittée de peur d’avoir la lèpre et je me suis retrouvée seule… J’étais malade, vraiment très malade. Mais pas seulement moi. Mes deux enfants aussi. Cela me donnait vraiment du souci car je devais les nourrir et m’occuper d’eux malgré ma maladie, mes douleurs, mes peines. Je m’inquiétais plus pour mes enfants que pour moi-même. » La voix de Dimby est un murmure aux tintements rocailleux : « J’ai tellement pleuré que j’en ai perdu ma voix. Je me disais sans cesse : ‘’pourquoi moi ?’’. » Fara écoute sa sœur raconter son histoire. Elles se lancent des regards et des sourires en guise de soutien. Toute la famille est présente. Malgré une histoire lourde, la joie règne et les rires fusent.

 

Dimby travaille dans les champs pour aider sa famille. ©Tom Yann

 

Le docteur Bertrand Cauchoix, conseiller médical de la Fondation Raoul Follereau et représentant à Madagascar a assuré le suivi médical de la famille : « Les deux mamans étaient profondément handicapées et exclues de leur village. C’est donc un exemple, relativement rare, où une famille a dû rester 4 ans dans le centre uniquement pour des soins ! La petite Soavina a presque immédiatement développé des complications de lèpre appelées érythème noueux lépreux (ENL) », explique le médecin. Les ENL se soignent avec des corticoïdes, des médicaments efficaces mais complexes à utiliser, notamment avant la puberté.
« Comme elle était très jeune, il fallait être prudent sur les posologies des corticoïdes. Malheureusement, dès qu’on baissait la dose, elle rechutait. Elle a fait
au moins 3 rechutes d’ENL, bien qu’elle ne soit plus malade de la lèpre. Ça a été une prise en charge longue et compliquée. »

Lorsque l’on voit Soavina pleine de vie, il est difficile de l’imaginer en grande souffrance. « Elle est très courageuse. Les seules fois où je l’ai vu pleurer, c’est quand la douleur était trop intense. Sinon, elle gardait le sourire. Elle voulait vraiment guérir », précise sœur Sabine. Les deux familles doivent leur vie à un notable de leur village. « Ma sœur jumelle est tombée malade elle aussi. Son conjoint l’a quittée pour les mêmes raisons que moi. Nous nous sommes réfugiées dans l’ancienne maison de notre mère mais les villageois murmuraient dans notre dos », raconte Dimby. Ces murmures vont jusqu’aux oreilles de Prosper, un professeur d’université originaire du village. « Il est venu nous voir et nous a convaincues de le suivre à Marana. »

 

Marana, un lieu d’exception

 

Les malades viennent de loin et souvent à pied vers les centres de santé. Ils marchent plusieurs jours, les transports étant trop chers et les habitations, éloignées des routes. Pour la directrice, « le malade est une personne qui a besoin d’être accueillie pour vous dire tout ce qu’elle vit. » Sœur Sabine est épaulée par une infirmière, une sage-femme et trois aides-soignantes. Ensemble, elles font le dépistage, le suivi des malades et les pansements.
« Je ne soigne pas les malades pour qu’ils deviennent ensuite des mendiants mais pour qu’ils soient des personnes normales, debouts, avec toute leur dignité. Chaque malade de la lèpre est unique pour son histoire et sa maladie. Tu es devant une personne malade qui a des besoins et qui crie vers toi. Tu réponds à ce cri. C’est pourquoi nous avons augmenté les actions sociales autour du dispensaire. »

 

Soavina a rattrapé son retard scolaire à Marana. © Tom Yann

 

Les religieuses aident les patients à se sentir utiles grâce au travail. Les malades et anciens malades sont tous investis dans le fonctionnement du centre. Ceux qui le peuvent travaillent aux champs tandis que d’autres, surtout les femmes, réalisent des sacs en broderie pour les vendre. Les enfants du centre, touchés de près ou de loin par la lèpre, ont la possibilité d’aller à l’école, grâce à la Fondation Raoul Follereau qui finance des bourses scolaires. Environ 50 % des enfants qui arrivent à Marana n’ont jamais été scolarisés tout comme Soavina. Les sœurs ont une petite classe de remise à niveau au centre, dont la maîtresse est une ancienne malade de la lèpre. Une fois leur retard rattrapé, les enfants vont à l’école de Fianarantsoa. « J’aime beaucoup le calcul », précise Soavina avec le sourire, « plus tard, je voudrais devenir religieuse pour aider les autres. » Pour sa mère Dimby, c’est une grande fierté : « Je suis handicapée donc je ne peux pas faire grand-chose pour mes enfants, à part travailler aux champs. Mais je les encourage à aller à l’école et étudier malgré ce qu’ils ont vécu. Je leur dis d’être fiers, de ne pas avoir de complexe et de bien étudier. C’est pour moi un espoir et pour eux, une source de joie. »