Au Burkina Faso, beaucoup d’enfants sont abandonnés chaque année. Orphelins de mère ou enfants non désirés, ils se retrouvent à la rue, livrés à eux-mêmes. La pouponnière Den Kanu sauve tous les jours des enfants et bébés de quelques jours à peine d’une mort certaine.
Bobo Dioulasso, capitale économique du Burkina Faso, s’étend à grande vitesse, phagocytant ainsi les petits villages périphériques, les réduisant à l’état de quartier ou « secteur ». Dans l’effervescence des rues, chaque recoin semble être habité. Hommes, femmes et enfants s’agitent entre les étals et les petits kiosques, soulevant dans leur sillage quotidien des nuages de poussière. A l’écart d’une route principale, au bout d’une piste chaotique, nul ne peut s’imaginer que derrière un haut portail gris des enfants sont sauvés tous les jours.
La pauvreté et la misère sociale poussent à l’abandon
« Nous ne voulons plus parler d’enfants abandonnés mais d’enfants trouvés », souligne sœur Marie-Bienvenue. Un ineffaçable sourire laissant entrevoir ses dents de la chance illumine le visage de la jeune religieuse. Professeur à l’école maternelle du quartier dans la journée, elle regagne la pouponnière Den Kanu à la fin de la classe. Depuis 1997, ce centre accueille quarante enfants âgés de quelques jours à dix ans. Tous sont orphelins de mère ou ont été trouvés dans la rue, devant les églises ou les mosquées, dans la brousse…
L’orphelinat Den Kanu travaille de pair avec l’action sociale, qui dépend du Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille. En 2007, le Ministère de l’action sociale et de la solidarité internationale soulignait le fait que « la fragilisation des familles, la persistance de la pauvreté et de la pandémie du VIH-SIDA ainsi que les crises multiformes contribuent à l’accroissement du nombre des orphelins et autres enfants vulnérables tels que ceux vivant dans la rue, ceux maltraités, ceux abandonnés, les enfants mendiants, etc. […] Le nombre d’enfants concerné par ce phénomène a été estimé à 2 100 000 en 2003 selon une étude conjointe du Ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale et le PNUD. »
Les causes d’abandon sont multiples mais la misère sociale et la pauvreté en sont les moteurs principaux. « Elever un enfant coûte très cher pour une famille pauvre », déplore sœur Agathe, la directrice de Den Kanu. La quarantaine passée, la sœur est originaire du Mali. Les traits de son visage semblent être figés dans une expression à la fois amusée et mystérieuse. « Je me dis que quand la femme abandonne l’enfant dans un endroit où il y a du passage, c’est qu’elle ne souhaite pas sa mort. Simplement, elle n’a pas les moyens de s’occuper de son enfant. »
Lorsque qu’un enfant est trouvé, les pompiers, la police ou la gendarmerie sont prévenus. Selon l’état de santé de l’enfant, il est amené à l’hôpital ou directement dans un centre d’accueil tel que la pouponnière Den Kanu. Une enquête de six mois est réalisée pour retrouver les parents puis un jugement d’abandon est prononcé. « Nous devons lui trouver un nom, alors on prend le saint de la date d’arrivée ou celui de son jour de naissance si on connaît la date », précise sœur Marie-Bienvenue.
Les maladies respiratoires sont très fréquentes au centre en raison de la proximité des enfants et de la chaleur. « Ce sont des petits fragiles », souligne sœur Marie-Bienvenue, « si un rhume n’est pas pris en charge rapidement, tout le système respiratoire peut être atteint. »
« Tu vois la vie monter »
Dans la cour principale, une poignée de petites filles et garçons s’amusent à l’ombre d’un arbre. Des jeux en fer colorés cassent la monotonie du sable orangé. « Le petit que vous voyez là-bas », interpelle sœur Agathe, « sa maman est malade mentale. Personne ne connaît le père de l’enfant. » Les enfants qui ne sont pas abandonnés mais dont la mère est décédée doivent retourner dans leur famille à partir de l’âge de deux ans. Il n’est pas rare que le père se soit remarié et refuse de reprendre son enfant. « Un jour, je suis allée en voiture jusqu’à la capitale pour remettre un garçon à son père car il ne voulait pas venir le chercher. Franchement, ça fait mal au cœur », soupire sœur Marie-Bienvenue. Dans le cas où la famille rejette l’enfant, un jugement d’abandon doit être prononcé au tribunal afin que l’enfant puisse être adopté. « Nous avons des enfants qui sont déjà grands car il n’ont toujours pas été adoptés », souligne la directrice, « le problème c’est que nous ne pouvons pas accueillir d’autres enfants s’il n’y a pas de place pour eux. » Une situation difficile à vivre pour les religieuses qui doivent refuser des bébés amenés par l’action sociale. « Des bébés meurent parce que nous n’avons plus de place pour les accueillir. »
A cette heure avancée dans l’après-midi, lovés dans des petits berceaux ceints d’une moustiquaire, les bébés de la pouponnière dorment. La dizaine de lits ressemble à des cocons. La dernière arrivée a un mois. Elle est vraisemblablement née prématurément. « Nous accueillons souvent des prématurés », précise sœur Agathe, « en dehors des couveuses, ils ont peu de chance de survivre. Ici, nous n’en avons pas. Je me souviens d’une petite fille qui a été amenée chez nous à deux jour, à peine. Elle était vraiment très petite et pesait 1,8 kg. Par miracle, elle a survécu. Vraiment, j’étais contente. A mes yeux, c’est la Providence. » Aujourd’hui, la petite fille a huit ans. Accompagnée de sa grand-mère, elle revient de temps en temps voire les religieuses. Une victoire pour sœur Agathe. « C’est intéressant de travailler avec les enfants. Tu vois la vie monter. L’enfant commence à s’asseoir, puis à sourire, il marche à quatre pattes et enfin, il se lève. » La voix de la sœur se transforme en murmure : « c’est beau… C’est beau. Voire un enfant grandir, c’est encourageant. Je ne peux pas dire que j’oublie la fatigue mais je lui donne un sens. »
Les religieuses portent la responsabilité de l’Etat en s’occupant de ces enfants, ce qui représente une lourde charge. Alors, parfois, quand la nuit tombe et que les quarante petites âmes sont couchées, « on se rend soudain compte que l’Etat repose l’avenir de ces enfants sur nos épaules », se confie la directrice. La prière est un refuge et un soutien pour chacune des religieuses. Conscientes qu’elles ne remplaceront jamais l’amour d’une mère pour ces enfants, ces femmes se battent et aiment sans faiblir pour qu’ils aient tous un avenir.