Sur les Hauts Plateaux, dans les montagnes du Sud, vit une trentaine de tribus montagnardes. Ces peuples sont confrontés à des défis sociétaux, sanitaires et économiques. Dans ce contexte, la Fondation Raoul Follereau, en lien avec le gouvernement vietnamien, œuvre en faveur de la réinsertion des anciens malades la lèpre de la région.

 

Le vent se lève sur les hauteurs de la province de Gai Lai. Au déclin du jour, le doux relief des montagnes s’estompe dans des couleurs bleues pastel. Alors qu’au loin la petite école du village de Plei Ngol se vide, les voix des enfants se perdent dans les champs de café. Planté en haut d’une colline envahie par la jungle, Plei Ngol est traversé par une unique route. Ici, la flore sauvage rivalise avec les champs de café, de poivre et d’hévéas. Un conflit avec la nature qui trouve sa victoire dans le travail endurant des agriculteurs bahnars. Les Bahnars forment une des trente tribus de montagnards du Sud-Vietnam. De petite taille, le teint halé et les yeux noirs cernés de velours, ce peuple a défié le temps et les guerres. Depuis des siècles, il vit dans la région des Hauts Plateaux. Une zone difficile d’accès où la forêt tropicale est dense et humide, le relief escarpé et les infrastructures routières quasi inexistantes. En plus de cet isolement géographique, les habitants de Plei Ngol subissent une autre forme d’exclusion : tous sont des anciens malades de la lèpre.

 

L’agriculture et l’élevage comme source de revenus

 

Huan se tient debout, silencieuse, à quelques mètres de sa maison. Une légère brise chaude fait jouer de fines boucles de cheveux noirs sur ses tempes. Accroché derrière son dos, un bébé dort profondément, emmailloté dans de grands foulards chatoyants. Elle regarde, impassible, le comité populaire local approcher de son pas de porte, accompagné du chef du village et d’un représentant de la Fondation Raoul Follereau. La maison de Huan s’apparente plus à un taudis : des poutres solidement ancrées dans le sol sur lesquelles sont clouées des tôles hors d’âge, un sol chaotique en terre battue, une porte rouillée défoncée… Une habitation bien frêle face aux facéties des moussons. Pourtant, elle y élève seule ses quatre enfants. « Mon mari était un ancien malade de la lèpre », explique timidement la jeune femme, « il est mort il y a presque deux ans. » Dans peu de temps sa maison sera reconstruite par la Fondation Raoul Follereau. Le comité populaire et le chef du village se sont déplacés pour l’en assurer. La nuit est tombée complètement. Ce soir, la petite famille dormira en se protégeant tant bien que mal des lourdes pluies de la mousson d’été.

Ce couple d’anciens malades reçoit une aide de l’Etat vietnamien. © Marie-Charlotte Noulens

Le village de Plei Ngol a été créé il y a vingt ans pour regrouper les malades de la lèpre qui erraient dans la jungle. « Au Vietnam, notre objectif est d’aider les anciens malades de la lèpre et leurs familles à s’insérer ou se réinsérer dans la société. Cela se fait en fonction des besoins des familles et des réalités du terrain. Dans cette région très agricole, nous finançons aux anciens malades des vaches ou des buffles car la demande est forte. Avec ces animaux, ils peuvent travailler dans les champs ou faire de l’élevage malgré un handicap sévère », explique Pierre Velut, représentant de la Fondation Raoul Follereau, « la Fondation a beaucoup aidé le village de Plei Ngol et ce depuis plus de trente ans. »

La pauvreté est grande dans les villages bahnars. © Marie-Charlotte Noulens

En suivant un sentier, la lumière d’une petite cabane attire l’œil. À l’intérieur, un lit de camp pour deux et une petite étagère. L’unique ampoule suspendue au plafond étale de sa lumière crue les ombres d’un petit couple d’anciens malades. Le sourire franc, Krun s’avance et tend sa main dénuée de doigts pour saluer la délégation. La pièce ne fait pas plus de 9 m2. Les mains de la femme de Krun sont tellement abimées qu’elle ne peut plus travailler. Son mari a trouvé un système pour cultiver la terre. Il s’attache les mains à sa bêche à l’aide de lanières de cuir. Si l’agriculteur a perdu la totalité de ses doigts, c’est en raison d’un diagnostic très tardif. « J’avais honte de ma maladie et peur d’être rejeté », explique Krun, « je ne connais pas mon âge mais je suis malade depuis tout petit. » Krun n’est pas originaire de Plei Ngol. À l’annonce de sa maladie en 1998, il a été prié par les autorités de santé de s’y rendre et d’y rester. Au Vietnam, le dépistage est réalisé village par village par les agents de santé du centre le plus proche. Depuis quelque temps, Krun et sa femme sont en attente de la construction d’une nouvelle maison en briques, subventionnée par le gouvernement vietnamien. « Nous allons financer une vache pour que la jeune femme puisse travailler », souligne Pierre Velut, « les jeunes sont notre priorité afin qu’ils puissent avoir un avenir à offrir à leur famille. »

Un diagnostic tardif entraîne de lourds handicaps. © Marie-Charlotte Noulens

En plus de la reconstruction de sa maison, Huan, la jeune veuve va, elle aussi,  recevoir une vache de la part de la Fondation Raoul Follereau. « Je travaille comme saisonnière dans les champs de café. Avant le décès de mon mari, deux de mes enfants pouvaient aller à l’école du village. Maintenant, je ne gagne pas suffisamment », raconte Huan d’une petite voix. Sur les quatre enfants, un seul est scolarisé. Les autres suivent leur mère dans les champs. « Avec la vache, je vais vendre la bouse comme engrais pour les champs de caféiers et faire un petit élevage. » L’accès à l’éducation est faible dans la région des Hauts Plateaux.

 

 

Dans la léproserie de Dak Kia. © Marie-Charlotte Noulens

À Kontum, une province des Hauts Plateaux voisine de Gai Lai, la léproserie de Dak Kia s’est agrandie depuis sa création en 1938. « Dak Kia abrite 193 foyers dont une soixantaine d’anciens malades de la lèpre », souligne la vice-directrice du dispensaire, « la bactérie continue de se propager et nous avons dépisté un nouveau cas en juillet 2019 chez une mère de famille. Son mari est un ancien malade. » Ici, ce sont des religieuses qui assurent la scolarisation des enfants d’anciens malades bahnars. « Il y a une grande pauvreté chez ces ethnies qui engendre des conditions de vie difficiles », explique sœur M., « les parents sont peu éduqués. Nous donnons en plus des cours du soir car les enfants ne peuvent pas travailler chez eux. Notre objectif est qu’ils aillent jusqu’au lycée. » Dans les familles, le bahnar est souvent de rigueur. Pour que ces ethnies soient intégrées au mieux dans la société, l’apprentissage et le perfectionnement du vietnamien chez les enfants est vital. Sans cela, les mariages précoces, la consommation de drogue et d’alcool deviennent le refuge d’une jeunesse livrée à elle-même.