La lèpre et l’ulcère de Buruli touchent plusieurs centaines de milliers de personnes par an. Pourtant la recherche sur ces maladies tropicales négligées est limitée par le manque de moyens financiers et humains. Sur le terrain auprès des malades ou à l’ombre des laboratoires, la lutte contre les deux maladies est l’oeuvre conjointe de soignants et de chercheurs engagés et passionnés.

 

La Fondation Raoul Follereau soutient des projets de recherche sur la lèpre depuis les années 1970, et depuis près de 30 ans sur l’ulcère de Buruli. Parmi ceux-ci : la mise au point de méthodes de prévention efficaces et adaptées et la réduction du temps de traitement pris par les malades.

À Madagascar, rompre la chaîne de transmission de la lèpre

La lèpre peut être guérie mais poursuit son chemin, à bas bruit, chez les populations pauvres.

Le nombre de nouveaux cas de malades dans le monde a grandement chuté grâce à la polychimiothérapie depuis 1981. Pour autant, la lèpre demeure un problème de santé publique dans plusieurs pays, dont Madagascar. Un des enjeux de la recherche est la prévention de la maladie : comment rompre la chaîne de transmission ? La lèpre se transmet, par des microgouttelettes émises par le nez et la bouche, en parlant ou toussant. Mais la contamination ne survient que par un contact proche et prolongé avec une personne malade non traitée. La lèpre est donc plus active au sein des populations non dépistées, dans des zones reculées, éloignées des centres de santé.

Au centre-ouest de Madagascar, le district de Miandrivazo présente des zones isolées et endémiques. Une étude y a été lancée en janvier 2019 pour tester l’efficacité et la faisabilité à grande échelle d’un traitement préventif donné aux contacts des malades. Ce projet PEOPLE (Post ExpOsure Prophylaxis for LEprosy), financé par l’Union Européenne, est porté par plusieurs acteurs : l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, les équipes du Programme National de Lutte contre la lèpre et du district sanitaire, le médecin Bertrand Cauchoix et la chercheuse Stéphanie Ramboarina de la Fondation Raoul Follereau, le laboratoire du CICM de Madagascar.

« Tout est une question d’investissement » rappelle le docteur Cauchoix.

Un investissement financier, mais aussi personnel. La première phase, consacrée au dépistage actif de toute la population de la région, a en effet été concluante mais difficile à mener. Patiemment, se frayant un chemin jusqu’aux hameaux les plus reculés, une équipe de six soignants a fait du porte à porte, pendant plus d’un an, pour examiner les 20 000 habitants. Les résultats sont éloquents : 73 cas de lèpre ont été dépistés, bien au-delà du seuil d’élimination de la maladie annoncé par l’Organisation Mondiale de la Santé en 2006 pour Madagascar. Un dépistage précoce des malades est donc la première clef d’une prévention efficace.

Les contacts du malade identifiés, et toute contre-indication écartée, une dose unique de rifampicine leur est donnée par voie orale. Au terme du projet PEOPLE à Madagascar, en juin 2023, l’efficacité de cette thérapie préventive, la chimio-prophylaxie, est confirmée dans l’entourage immédiat du malade : elle permet de réduire de moitié le risque, pour un proche, de développer la lèpre.

« La chimio-prophylaxie n’est pas un outil d’éradication, souligne le docteur Cauchoix, mais elle amoindrit les risques. »

Le projet multicentrique se poursuit aux Comores auprès de 80 000 personnes.

La chercheuse, Stéphanie Ramboarina, lors d’une mission de dépistage dans le district de Miandrivazo, à Madagascar. ©Fondation Raoul Follereau

Voir les articles :

https://www.raoul-follereau.org/le-projet-people-une-etude-pilote-pour-casser-la-transmission-de-la-lepre/

https://www.raoul-follereau.org/stephanie-ramboarina-comprendre-le-monde-au-service-des-malades/

À Pobè, réduire le temps de traitement … 

Au Bénin, le Centre de Dépistage et de Traitement de la lèpre et de l’ulcère de Buruli (CDTLUB) de Pobè, construit et financé par la Fondation Raoul Follereau, est le principal site de prise en charge des maladies dermatologiques dans les départements de l’Ouémé et du Plateau. La recherche clinique y est également fortement développée.

Le docteur Perrin Catraye est médecin et chercheur en santé publique au sein du CDTLUB de Pobè. Sous la direction du docteur Christian Johnson, il travaille avec son équipe au projet de recherche TCOLF dont l’objectif est de réduire le temps de traitement de l’ulcère de Buruli. Jusqu’alors les malades reçoivent, par voie orale, deux antibiotiques – la rifampicine et la clarithromycine – quotidiennement pendant 8 semaines. Recommandé par l’OMS depuis 2017, ce traitement n’en demeure pas moins lourd pour les patients. L’enjeu du projet est d’en réduire la durée à 4 semaines.

Le traitement devant être optimisé, des recherches ont été menées en amont grâce à un consortium d’acteurs dont l’Université de Saragosse, GlaxoSMithKline, la Fondation ANESVAD. Elles ont abouti, en 2019, à la détermination d’une synergie efficace entre le traitement standard et un 3ème antibiotique, l’amoxi-clavulanate.

Prolongement de ces recherches, l’essai clinique en cours TCOLF a commencé en décembre 2021, à Pobè, Lalo et Allada. La 2ème phase de l’essai est consacrée au recrutement des patients présentant des symptômes de l’ulcère de Buruli, selon un protocole prédéfini. De manière aléatoire, les malades inclus dans l’essai reçoivent pour certains le traitement standard durant 8 semaines, pour d’autres le nouveau traitement durant 4 semaines. En avril 2023, 54 patients ont déjà été inclus dans l’essai clinique. Une centaine d’autres malades doivent encore être inclus avant de passer à la phase d’analyses des résultats. S’il est trop tôt pour émettre des conclusions, les essais apparaissent encourageants.

… et prévenir l’ulcère de Buruli

Prévenir l’ulcère de Buruli nécessite d’en connaître les causes de contamination. Or le mode de transmission de la bactérie reste incertain, mais un facteur de risque important a été identifié par l’équipe INSERM ATOMyCa (Angers) : la proximité avec un point d’eau non-protégé, à faible débit ou stagnant, obstrué par des plantes aquatiques et abritant des insectes aquatiques. Il est dès lors apparu nécessaire d’identifier les points d’eau où s’approvisionnent les malades et les activités ayant pu les exposer à la contamination.

Les points d’eau stagnants non protégés, ici à proximité de Pobè, semblent favoriser le risque de contamination par Mycobacterium ulcerans. ©Fondation Raoul Follereau

À cette fin, Alexandra Boccarossa, chercheuse en géographie de la santé, est arrivée en 2019 au CDTLUB de Pobè pour travailler sur le projet GEANT, coordonné par Sébastien Fleuret, tous deux membres du laboratoire ESO :

« La recherche est passionnante, nous menons des enquêtes pluridisciplinaires, liant les sciences humaines et sociales, la microbiologie, l’épidémiologie et la médecine. »

Comment les personnes contractent-elles la maladie, quelles sont les activités domestiques à risque ?

Pour répondre à ces questions, les chercheurs se sont postés au niveau des points d’eau, ils ont fouillé les villages, avec l’aide des chefs de village et des femmes, afin de géolocaliser l’ensemble des points d’eau. À l’issue du projet, les analyses fructueuses ont permis notamment de confirmer les catégories de personnes les plus touchées (femmes et enfants) et de déterminer l’existence de zones précises de contamination proches de Bomou, dans l’Ouémé.

En janvier 2023, le projet COPTER-UB est lancé, dans la continuité de GEANT, afin de définir toutes les activités liées aux environnements à risque et de mettre en place, avec des groupes d’habitants, des moyens collectifs de prévention. Le projet est financé pour 2 ans, les résultats sont attendus en 2025.

 

 

[Photographie en couverture : Les équipes poursuivent leurs recherches au laboratoire du CDLTUB de Pobè. © Agence Mama Story]