En février dernier, le Dr Maïmouna Ouedraogo a été nommée directrice du centre national dermato-lèpre (CNDL) de Niamey : une nomination inédite pour le premier centre de prise en charge dermatologique du Niger. 

FRF : Dr Maïmouna Ouedraogo, d’où vient votre vocation de soignante ? Quel a été votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Dr Maïmouna Ouedraogo : J’ai toujours été curieuse, toute petite déjà je voulais tout comprendre. Et j’ai grandi dans une famille d’agents de santé : je voyais comment ils aidaient autour d’eux et j’insistais pour aller voir comment ils travaillaient. Je pense que c’est ce qui a influencé mon choix pour la médecine. J’ai étudié à la faculté de médecine de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Après mon doctorat, j’ai travaillé dans une clinique privée que j’ai dirigée pendant 3 ans. Ensuite, je me suis spécialisée en dermatologie et j’ai occupé le poste de médecin dermatologue dans le centre hospitalier de Maradi, à 700 km de Niamey, à l’est du pays. Puis [de retour dans l’ouest], j’ai travaillé au sein de l’hôpital régional de Tillabéri, avant d’être affectée à l’hôpital national de Niamey, pendant 5 ans. Et en février 2025, j’ai été nommée directrice du centre national dermato-lèpre (CNDL) à Niamey.

En 2022, l’Organisation mondiale de la Santé évaluait à 72% la proportion de femmes parmi les personnels de santé en Afrique, et seulement à 35% le taux de femmes médecins. Avez-vous vous-même rencontré des obstacles en raison de votre genre, durant votre parcours ? 

Dr M. Ouedraogo : C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans notre milieu professionnel. Mais mon genre n’a jamais été un obstacle. La collaboration a toujours été bonne avec mes collègues et avec mes responsables. Quant aux patients, la plupart du temps, ce sont les femmes qui viennent en consultation, soit pour elles-mêmes soit pour leurs enfants, alors cela ne gêne pas non plus. Je ne m’attendais pas à ce que le personnel du CNDL me suive aussi facilement, ils sont très motivés, et même, si je puis dire, formidables !

Aujourd’hui, je pense qu’être une femme à la direction du centre a peut-être influencé le changement de comportements. Nous échangeons beaucoup, nous tenons des réunions régulièrement et abordons les problèmes rencontrés dans les services. Les agents ont leur mot à dire par rapport à tout ce qui se passe dans le centre. Quand ils ont un problème, ils viennent l’exposer et nous leur demandons leur avis sur ce problème. Nous tenons compte de ce qu’ils expriment pour trouver la meilleure solution. Le fait de les impliquer dans les décisions les a responsabilisés et ils sont plus attentifs aux patients et même entre eux : je dirais que cela a beaucoup amélioré la collaboration.

Le CNDL est le plus grand centre de prise en charge dermatologique au Niger, devant le centre de Zinder (lui-aussi dirigé par une femme) et celui de Maradi, au sud du pays. Quelles activités y sont pratiquées ? 

Dr M. Ouedraogo : En 2024, le CNDL a pris en charge 2306 patients. À l’échelle de la ville de Niamey, cela correspond à 77,69% des demandes de soins dermatologiques, et à l’échelle du pays, à 56,27% de ces demandes. Or selon le rapport du système national d’informations sanitaires (2024), les dermatoses occupent le 7ème rang des causes de morbidité : ceci est même très sous-estimé car les plaies n’ont pas été prises en compte. Voyez l’importance du domaine des soins dermatologiques !

Au CNDL, nous faisons de la dermatologie générale et nous avons des activités spécifiques : la vénérologie, la prise en charge des maladies tropicales négligées, dont la lèpre, et la prise en charge de l’albinisme.  En ce qui concerne la lèpre, en 2024 nous avons dépisté 72 nouveaux cas au CNDL – pour 324 nouveaux cas dépistés dans le pays. Actuellement 97 malades de la lèpre sont pris en charge, la majorité viennent de l’ouest du pays : les régions de Niamey, de Tillabéry et de Dosso. Les patients originaires de l’est se présentent souvent en raison de complications liées à la lèpre. Quant aux patients atteints d’albinisme, ils sont environ 150 actuellement suivis au centre : en plus de leur prise en charge, nous assurons un dépistage des lésions précancéreuses et des cancers de la peau, en collaboration avec le centre national de lutte contre le cancer.

Quelles difficultés rencontrez-vous en termes de prise en charge des malades de la lèpre ? L’insécurité aux frontières du pays a-t-elle des conséquences sur les activités de dépistage ? 

Dr M. Ouedraogo : Nous diagnostiquons trop souvent la lèpre de manière passive, lorsque les patients viennent vers nous nous pour des problèmes dermatologiques ou neurologiques. Quand on voit qu’en 2024, 70 malades de la lèpre ont été dépistés par le CNDL de manière passive, cela devient inquiétant. Il faudrait aller vers les sujets contacts de ces familles et faire des dépistages actifs.

L’insécurité aux frontières n’est pas forcément un obstacle pour ces activités de dépistage car nous avons des services de santé qui sont fonctionnels dans ces zones. Et à travers la pyramide sanitaire du pays, les agents de santé qui travaillent dans ces centres devraient pouvoir aider. Mais il faut les former davantage. Depuis le CNDL, nous pouvons organiser des activités en collaboration avec les centres de santé périphériques, particulièrement des régions de Tillabéri et de Dosso.

Pour les patients atteints d’albinisme, les difficultés sont aussi liées au diagnostic tardif des cancers : entre janvier et août, nous avons perdu 4 patients atteints d’albinisme, en raison de cancers de la peau traités trop tard. Nous avons tout fait pour les aider, mais ils manquaient d’un soutien familial. C’est pourquoi nous sensibilisons aussi les familles.

Quelles sont vos priorités pour l’avenir ?

Dr M. Ouedraogo. Cette année, j’envisage de former tous les agents du CNDL sur la lèpre car ils sont en 1ère ligne pour la prise en charge de la lèpre au Niger. Je voudrais les former sur les complications de la maladie, notamment les maux perforants plantaires qui nous posent beaucoup de problèmes, et sur la prise en charge des réactions lépreuses. Nous souhaitons aussi faire plus de dépistages actifs : la plupart des dermatoses ne mettent pas en jeu le pronostic vital, mais peuvent avoir des répercussions sur la qualité de vie des patients. Or ce sont des pathologies qui sont dans la plupart des cas évitables ou guérissables. 

Le centre a du potentiel, les agents sont motivés, et il y a une grande fréquentation. Nous pouvons faire beaucoup de choses pour améliorer la qualité de vie des patients et diminuer la morbidité liée aux affections dermatologiques au Niger. Nous avons besoin de moyens pour former et outiller les agents, pour équiper et aménager le centre. J’ai beaucoup d’ambition pour le centre : avec l’implication de tous, nous allons pouvoir atteindre nos objectifs. 

 (Photo en couverture : le Dr M. Ouedraogo est la 1ère femme à gauche, en blouse blanche.  ©CNDL)

Le CNDL de Niamey est soutenu par la Fondation Raoul Follereau depuis sa création en 1982. Il est aujourd’hui sous la tutelle du Programme national de lutte contre la lèpre et les dermatoses, et abrite le service de prévention des invalidités et de réadaptation physique, l’Association nigérienne Raoul Follereau, l’Association nationale des albinos du Niger.