Deux projets de recherche éclairent, en 2025, les liens existant entre les maladies tropicales négligées cutanées et les milieux naturels et sociaux des malades.

 

Microbiologistes, médecins, géographes, anthropologues, psychologues… tous allient leurs disciplines pour faire avancer la recherche sur les maladies tropicales négligées cutanées que sont l’ulcère de Buruli et la lèpre. Ces dernières affectent non seulement le corps des malades, mais aussi leur vie sociale. Au laboratoire comme sur le terrain, les scientifiques cherchent des réponses pour améliorer leur prise en charge et, in fine, éliminer ces maladies. Parmi les projets soutenus par la Fondation Raoul Follereau, deux sont arrivés à terme en 2025 : le projet COPTER-UB et le projet Disability.

 

[COPTER-UB] Sur les traces d’une bactérie ravageuse

L’ulcère de Buruli, cette maladie « mangeuse de chair » est endémique dans les zones rurales de l’Afrique de l’ouest et centrale, où elle touche majoritairement les jeunes de moins de 15 ans. Elle se traduit par des lésions de la peau pouvant atteindre l’os et conduire à des amputations. Où et comment la bactérie responsable contamine-t-elle les habitants ? Des travaux menés, au sud-est du Bénin, par le professeur Laurent Marsollier et Estelle Marion de l’INSERM d’Angers avaient permis de la détecter chez des insectes piqueurs vivant dans de hautes herbes aquatiques. Mais les données étaient insuffisantes: « les localités ne présentaient ni les mêmes configurations, ni les mêmes activités humaines : nous avons donc voulu comprendre plus finement les facteurs de risque » explique Estelle Marion. Soignant les malades depuis plus de 20 ans dans cette région à forte endémicité – 6000 cas dépistés entre 2005 et 2015 – le Centre de traitement de la lèpre et l’ulcère de Buruli (CDTLUB) de Pobè allait servir de camp de base aux chercheurs.

En 2018, les microbiologistes de l’INSERM s’allient au géographe de la santé, Sébastien Fleuret, directeur de recherche au CNRS. Ensemble ils lancent le projet GéANT : l’objectif est de caractériser les points d’eau utilisés par les habitants et détecter la bactérie dans l’environnement. L’étude couvre les vallées du fleuve Ouémé et la commune de Pobè. « Pour chaque malade enregistré par le CDTLUB de Pobè, on est allé recruter 2 personnes saines de leur entourage ayant un profil similaire [les cas témoins] et on les a interrogés pour comprendre leurs habitudes liées à l’eau » rapporte Sébastien Fleuret. Dans le même temps, sa collaboratrice, Alexandra Boccarossa, se poste face aux points d’eau et note tout des activités s’y déroulant : qui vient puiser ou jouer dans l’eau, quelle partie du corps est immergée, etc. Des prélèvements sont aussi réalisés et envoyés au laboratoire de l’INSERM. Les données recueillies encouragent les chercheurs à poursuivre leurs travaux dans les zones de bas-fonds, a priori plus propices aux contaminations.

Avec l’accord des chefs locaux et des habitants, Alexandra Boccarossa se poste face aux points d’eau et note tout des activités s’y déroulant. ©Alexandra Boccarossa

Enquête en eaux troubles

De 2022 à 2025, le projet COPTER-UB succède au projet GéANT et se concentre sur les activités agricoles pratiquées dans les basses vallées du fleuve Ouémé. Reprenant leurs enquêtes, les chercheurs suivent 116 malades et 232 cas témoins pour trouver les lieux de contamination. « On a alors compris qu’on était passé à côté d’une dimension : les mobilités » souligne Sébastien Fleuret.

Remettant un boitier GPS à certains et suivant d’autres au moyen d’un drone sur des sites non carrossables, les chercheurs découvrent que les personnes traversent à pied des zones inondées : ainsi des jeunes femmes chargées de rapporter les récoltes au village durant les crues. « Il est très probable que les gens sont contaminés non pas aux points d’eau, au bord du fleuve, mais quand ils marchent dans ces eaux stagnantes » : c’est l’une des avancées significatives du projet COPTER-UB.

Dès lors, les chercheurs veillent à informer les communautés sur ces risques, au moyen de courtes vidéos, et les habitants mettent en place des solutions pour prévenir la contamination: construction de ponts éphémères, port de vêtements longs, etc. Le projet COPTER-UB laisse toutefois des questions en suspens que les géographes aimeraient creuser. La recherche s’inscrit dans la durée, comme l’activité du CDTLUB de Pobè dont Estelle Marion estime le soutien continu : « je ne connais pas d’autres lieux où l’on peut avoir une telle connaissance du terrain sur du long terme. »

Au moyen de courtes vidéos tournées dans les villages, les chercheurs sensibilisent adultes et jeunes aux risques de contamination.

 

[Disability] Des données inédites sur le handicap

« Nous savions que le handicap concernait plus de 15% de la population mondiale » rappelle le Dr Christian Johnson, directeur médical de la Fondation, « mais il y avait très peu de données de base sur les handicaps liés aux maladies tropicales négligées (MTN), la priorité était jusqu’alors donnée au dépistage et au traitement médical ». Forts de ces constats, des médecins, assistants sociaux, psychologues et anthropologues du Bénin et de la Côte d’Ivoire se rassemblent en 2021 et lancent le projet Disability, sous la direction du Dr Johnson. Leur objectif est de définir des directives claires, harmonisées et adaptées aux contextes locaux, pour une prise en charge inclusive du handicap.

En tout, dans les deux pays, 841 personnes en situation de handicap ont été recensées et reçues en consultation, dont 98 avec des handicaps liés aux MTN, tels l’ulcère de Buruli et la lèpre. À leur écoute, les chercheurs ont constaté une prise en charge insuffisante pour 80% des personnes au Bénin, 82% en Côte d’Ivoire. Les handicaps pris en compte sont les troubles fonctionnels vécus par les personnes, mais aussi les restrictions qu’elles connaissent dans leurs activités ou leur vie sociale. L’enquête a en effet mis lumière le rejet et l’auto-stigmatisation vécus par 554 des personnes rencontrées. « Même si elle a la meilleure volonté du monde, la personne handicapée se heurte à la communauté qui la considère comme incapable » relève Inès Agbo, docteur en socio-anthropologie, « et c’est toute la famille qui subit le rejet, particulièrement la mère à qui l’on reproche d’avoir transgressé des interdits ». Novatrice a été la mise en place d’interventions ciblées (opérations chirurgicales, travail sur l’estime de soi, aide à la réinsertion, etc.) pour 12 des 841 personnes recensées. « Cet essai est une réus­site » se réjouit le Dr Christian Johnson [voir ci-dessous l’Éclairage], « la prochaine étape, c’est la mise à l’échelle du projet et un travail sur les déterminants sociaux ».

En étudiant les liens entre l’environnement et les MTN cutanées, les scientifiques ouvrent ainsi la voie à des solutions durables pour les populations.

Dans les villages, les personnes en situation de handicaps témoignent elles-mêmes pour sensibiliser la population. ©Inès Agbo

 

Éclairage

Les résultats du projet de recherche Disability ont été à la hauteur des ambitions que l’équipe pluridisciplinaire s’était donnée, en 2021 : l’état des lieux sur les invalidités liées aux MTN est réalisé, des interventions adaptées ont été conçues, des recommandations ont été formulées. En outre, 15 kinésithérapeutes ont été formés sur la prévention et la prise en charge des séquelles, 4 structures de soins ont été réhabilitées ou équipées, une salle socio-éducative a été construite, 2 associations des personnes en situation de handicaps ont été créées.

De nombreux partenaires ont contribué au projet : la Fondation Anesvad, l’Université Abomey-Calavi, l’Université Houphouët-Boiingy, le CIFRED, l’ISAD.