En Côte d’Ivoire, depuis 2022, les acteurs luttant contre la lèpre mènent un projet global intégrant un dépistage actif dans les dix districts où la maladie est le plus endémique. Le projet pilote lancé à Gagnoa a impliqué, de manière très active, les communautés du district.

 

« Les maladies tropicales négligées, comme la lèpre ou l’ulcère de Buruli, touchent beaucoup la population. Mon fils a eu un ulcère de Buruli, et il a été amputé d’une jambe l’an dernier, à l’âge de 31 ans… C’est pour cela que je me suis engagé dans le projet, je ne veux plus jamais voir ça ! ». Jonas Brou est animateur de la Fondation Raoul Follereau. De juin 2022 à juin 2024,  il a parcouru les 60 villages du district de Gagnoa pour sensibiliser la population sur les maladies tropicales négligées (MTN) cutanées  et animer des comités sur les bonnes pratiques en termes d’eau, d’hygiène et d’assainissement.

Au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, Gagnoa est l’un des dix districts sanitaires où la lèpre est le plus endémique. Le projet de dépistage actif qui y a été mené s’intègre dans un vaste plan d’action établi par les partenaires de lutte contre la lèpre dans le pays. En juin 2022, ces acteurs rassemblés sous le « Global Partnership for Zero Leprosy », ont établi une feuille de route visant, d’ici 2030, à réduire de 70% le nombre de nouveaux cas de lèpre et à diviser par 10 les infirmités graves liées à la maladie et le nombre d’enfants atteints. « En Côte d’Ivoire, les chiffres stagnaient (environ 500 nouveaux malades par an) et les conditions étaient réunies pour aller de l’avant » explique le docteur Christian Johnson, directeur médical de la Fondation Raoul Follereau, « il y avait une base de données solide, un réseau d’infirmiers superviseurs de la lèpre, 4 centres de référence répartis sur le territoire, des stratégies assimilées en eau, hygiène et assainissement et en soins des plaies ». Dans le district de Gagnoa, le projet pilote mené par la Fondation Raoul Follereau avec la Fondation Anesvad, a intégré un dépistage de la lèpre et des autres MTN à manifestation cutanée, avec une mobilisation des communautés : l’objectif était de recevoir en consultation 90% de la population du district, d’identifier les cas contacts des malades de la lèpre pour leur donner un traitement préventif, de sensibiliser les communautés à la lutte contre ces maladies et d’améliorer les structures et les pratiques en matière d’eau, d’hygiène et d’assainissement.

L’animateur Jonas Brou a parcouru les 60 villages du district de Gagnoa, et continue le travail dans le district de Soubré. ©Marie-CapucineGaitte

Les communautés au coeur du projet

« L’implication de la communauté était indispensable » souligne le docteur Johnson, « si nous voulions un dépistage exhaustif de la population il fallait que tous les habitants adhèrent au projet. » Pour obtenir cette adhésion, l’équipe du projet (un coordonnateur, deux animateurs et deux facilitateurs) s’est présentée aux chefs des 60 villages composant le district. Avec l’accord de ces derniers, 60 comités ont été constitués rassemblant chacun 11 représentants des différents groupes d’habitants – chefferie, acteurs de la santé, groupes religieux, femmes, jeunes, enseignants, etc.). Ces comités ont procédé eux-mêmes au recensement de la population et à l’annonce des dépistages, allant de hameau en campement : 185 749 personnes ont ainsi été recensées. Dans le même temps, des animations ont été organisées pour sensibiliser la population aux MTN cutanées et aux enjeux liés à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, comme bases fondamentale de la santé. Au fil des mois, l’équipe a gagné la confiance des communautés : « les hameaux étaient parfois très éloignés des routes et nous avons dormi chez les habitants, nous avons vécu avec eux et cela les a encouragés à aller se faire dépister et à développer eux-mêmes des initiatives pour leurs villages » témoigne un facilitateur, Matthieu Kouakou.

L’animatrice Fatim sensibilise les groupes de femmes. ©Marie-CapucineGaitte

Freiner la transmission de la lèpre dans les familles

Des isoloirs mobiles ont été transportés de village en village pour proposer des lieux de consultation au plus près des habitations. Grâce à l’implication des infirmiers du district et des comités dans les villages, 93% de la population a été reçue en consultation – un taux dépassant l’objectif initial du projet. Didier, un enfant de 7 ans est le premier malade de la lèpre à avoir été diagnostiqué : alors qu’il était isolé à l’école en raison des taches sur sa peau, il est aujourd’hui guéri, les taches ont disparu et il ne souffre plus de stigmatisation. Au total, ont été diagnostiqués 175 cas de lèpre, 4 cas d’ulcère de Buruli, 136 cas de pian, 2113 cas de gale et 74 128 dermatoses autres. Pierre Velut, représentant de la Fondation Raoul Follereau en Côte d’Ivoire, relève le caractère inattendu des chiffres liés à la lèpre : « ces chiffres ont été une surprise pour tous les acteurs car la Côte d’Ivoire est considérée comme étant passée sous le seuil d’élimination de la lèpre définie par l’Organisation mondiale de la Santé (1 cas pour 10 000 habitants) ; or à Gagnoa, le taux de dépistage donne 1 cas de lèpre pour 1000 habitants ». Au-delà du dépistage et du traitement des malades, l’enjeu était d’identifier toutes les personnes ayant été en contact avec ces derniers, afin de leur donner un traitement préventif (la chimioprophylaxie) et ainsi freiner la transmission : 5490 personnes ont bénéficié de ce traitement qui réduit de moitié le risque de développer la maladie. Le protocole, validé par le Comité d’éthique de la Côte d’Ivoire, est désormais adopté par le programme national d’élimination de la lèpre (PNEL).

Des isoloirs sont transportés dans les écoles et les villages pour proposer des lieux de consultation accessibles par tous. (Ici une école du district de Daloa) ©Marie-CapucineGaitte

 

Dans les villages, les équipes visitent les familles et prescrivent la chimioprophylaxie – ici dans le district de Soubré. ©Marie-CapucineGaitte

Des changements visibles dans les villages

Des déchets jonchent les rues, des enfants ont des maux de ventre, les moyens manquent pour acheter du savon… Accompagnées par l’équipe du projet, les communautés de Gagnoa ont identifié les difficultés qu’elles rencontraient et, pour certaines, mis en place des solutions durables. Dans le village d’Oteoha, voyant la nécessité d’un environnement sain, les femmes ont pris l’initiative de balayer les rues et le marché toutes les semaines, bientôt rejointes par un groupe de jeunes. Dans ce même village, les hommes constatant la surcharge d’une école ont construit deux nouvelles salles de classe. Et les enfants participent eux aussi à l’élan collectif : « les écoliers voient qu’ils n’ont plus de maux de ventre depuis qu’ils se lavent les mains régulièrement, c’est devenu automatique ! » se réjouit un animateur. Ailleurs, des femmes ont appris à fabriquer du savon à partir de l’huile rouge de palmiers. Emmanuel Konan, animateur de groupes de travail, mesure le chemin parcouru par les communautés : « au début du projet, quand nous arrivions dans une communauté, les gens nous disaient « ici nous n’avons rien », aujourd’hui, ils voient qu’ils sont capables d’agir avec leurs propres ressources ». Depuis la fin du dépistage en octobre dernier, les communautés poursuivent leurs initiatives avec le soutien de la Fondation Raoul Follereau qui s’assure dans le même temps du suivi des malades. À la suite de Gagnoa, d’autres projets globaux ont commencé dans les districts de Soubré et de Daloa.

Fabrication de savons à partir de l’huile de palme rouge et de bicarbonate de soude. ©Marie-CapucineGaitte

Les habitants, adultes et adolescents, apprennent à utiliser les pompes à mobilité humaine (PMH). ©Marie-CapucineGaitte