Depuis 2021, un projet de recherche opérationnelle est mené, au Bénin et en Côte d’Ivoire, auprès de personnes souffrant de handicaps liés à des maladies tropicales négligées à manifestation cutanée. Grâce à une équipe pluridisciplinaire, le projet Disability développe une prise en charge médicosociale globale et adaptée à chaque personne.

 

Le handicap est un sujet sensible en Afrique. En plus de déficiences physiques ou mentales, les personnes en situation de handicap souffrent d’isolement, de stigmatisation, de manque de soins adaptés… L’Organisation mondiale de la Santé évalue à 15,6% la prévalence d’un handicap grave ou modéré en Afrique (1), qui affecte donc plus de 200 millions de personnes. Or « dans le contexte local » souligne sœur Florentine Houedenou, enseignante à l’université d’Abomey-Calavi, « la personne handicapée est perçue comme incapable et difficile à intégrer au sein de la communauté ». Le constat est partagé par le docteur Christian Johnson, directeur médical de la Fondation Raoul Follereau, et de nombreux soignants et acteurs sociaux du Bénin et de la Côte d’Ivoire : les personnes en situation de handicap vivent des problématiques sociales qui dépassent le cadre médical.

Depuis 2021, le projet de recherche Disability est mené dans ces deux pays, par une équipe pluridisciplinaire coordonnée par le Dr Johnson, pour répondre aux besoins des personnes ayant un handicap lié à une maladie tropicale négligée (MTN) à manifestation cutanée – ulcère de Buruli, lèpre, ulcères chroniques… L’objectif est triple : leur proposer une prise en charge personnalisée et holistique c’est-à-dire médicale, paramédicale et sociale ; améliorer la prévention des invalidités ; et, in fine, émettre des recommandations aux programmes nationaux de lutte contre ces maladies. Le projet est soutenu par la Fondation Anesvad, et par la Fondation Raoul Follereau depuis 2022. 

Une chance de se reconstruire

Durant trois ans, un travail d’enquête a été effectué, au Bénin et en Côte d’Ivoire, auprès de plus de 800 personnes ayant des invalidités dues à des MTN dermatologiques afin de recueillir leurs besoins, de sensibiliser les familles et d’identifier les personnes susceptibles d’intégrer la phase pilote du projet. Au terme de l’enquête, 12 personnes ont été retenues – 6 dans chaque pays – en raison des vulnérabilités multiples qu’elles présentent : sociale, physique, économique, éducative… La majorité sont d’anciens malades de l’ulcère de Buruli. [Voir Éclairage, en bas de page]

Parmi ceux-ci, Isabelle, une jeune fille de 15 ans, a contracté la maladie lorsqu’elle avait 1 an. Bien que soignée au centre de traitement de l’ulcère de Buruli (CDTUB) d’Allada, elle a vu son genou se plier dans l’autre sens au cours des années qui ont suivi la guérison : l’ulcère avait atteint l’os de la patella et détruit les ligaments du genou. Limitée dans ses déplacements et craignant le regard des autres, Isabelle a abandonné l’école après les classes primaires. C’est une jeune fille très réservée que les soignants ont rencontrée dans le cadre du projet Disability. Opérée avec succès par le docteur Odry Agbessy, spécialisée en chirurgie plastique reconstructive, Isabelle est actuellement aidée par Bernard Tovioudji, le kinésithérapeute du CDLTUB de Pobè : le genou redressé, une orthèse a été posée et un travail de réadaptation physique s’ensuit. La jeune fille peut désormais se tenir debout, et bénéficie du soutien de l’assistante sociale du CDTUB d’Allada pour la suite de son parcours. Chirurgienne renommée, le Dr Agbessy participe avec enthousiasme au projet depuis 2023 :

« C’est un réel changement de vie pour la personne, on améliore sa condition physique et son schéma corporel. Elle peut participer de nouveau à la vie économique de sa communauté, elle a un meilleur respect d’elle-même. C’est une nouvelle chance pour elle de se reconstruire. »

Dans l’attente de son opération, Esther développe déjà, avec succès, un petit commerce dans son village. ©Sr Akoua Jean Jérome Tano

« Je ne suis plus la même personne »

Une faible estime d’elles-mêmes, telle a été la première déficience qu’on mise en avant, lors de l’enquête initiale, les personnes en situation de handicap. Pour répondre au besoin de celles-ci de retrouver une dignité, les équipes psycho-sociales des deux pays ont alors développé des modules sur l’estime de soi et la ligne de vie. « La personne est à la base de tout, on l’accompagne pour qu’elle identifie ses forces et ses difficultés, on accueille sa souffrance et on l’aide à se connaître » explique sœur Akoua Jean Jérome Tano. L’assistante sociale du Programme national de lutte contre l’ulcère de Buruli en Côte d’Ivoire a accompagné Esther, une jeune femme elle aussi atteinte par la maladie dans l’enfance, dont elle a gardé un coude handicapé : « Esther était différente des autres ; son bras droit invalide, elle ne pouvait participer aux activités communautaires, que ce soit le travail aux champs ou le nettoyage du village, et vivait en marge de sa communauté ». Grâce au travail sur l’estime de soi, Esther a repris confiance en elle et retrouvé une capacité à se fixer des objectifs. Dans l’attente d’une opération chirurgicale suspendue le temps de sa grossesse, elle est rentrée dans son village natal où elle a constaté l’absence d’une poissonnerie. Avec le soutien du projet Disability, Esther a commencé par ouvrir une petite épicerie qu’elle développe depuis avec détermination ; elle a en outre suivi une formation en gestion et économise pour construire sa propre maison.

Dans le cadre du projet Disability, les soignants et acteurs sociaux ont relevé la nécessité impérieuse de prendre en compte l’environnement de la personne. « L’accompagnement de la personne en situation de handicap ne peut se faire sans inclure la famille, et celle-ci peut jouer un rôle essentiel de soutien et de motivation » observe Blandine Sezonlin, assistante sociale au CDTLUB de Pobè. Dans le cas d’Esther, le père a été impliqué dans le projet de sa fille, puis les habitants se sont approchés et toute la communauté a été sensibilisée : aujourd’hui, ces derniers l’invitent même à s’investir davantage pour la communauté. Aider la personne à développer une activité génératrice de revenu permet aussi ce changement de regards portés sur elle. À l’issue du travail psycho-social et du travail de réintégration par le travail ou par l’école, les personnes suivies dans le cadre du projet ont chacune témoigné être devenues « une nouvelle personne ».

La phase pilote du projet Disability s’achèvera dans le courant de l’année 2024. Les équipes des deux pays travaillent d’ores et déjà à établir des recommandations. Celles-ci seront adressées aux programmes nationaux de lutte contre les maladies tropicales négligées, responsables de la supervision des actions de lutte contre ces maladies dans les deux pays.

Éclairage – Les séquelles physiques liées à l’ulcère de Buruli

La mycobactérie à l’origine de l’ulcère de Buruli, de la même famille que celle responsable de la lèpre, produit une toxine qui cause des lésions cutanées. En l’absence de traitement, un ulcère se développe pouvant atteindre l’os et entrainer des déformations. Les malades une fois guéris peuvent ainsi souffrir de handicaps dus à une rétractation des tendons, à un défaut de consolidation osseuse ou encore à une rétractation de la peau lors de la cicatrisation. Aujourd’hui, grâce à l’antibiothérapie et aux dépistages précoces, les séquelles de l’ulcère de Buruli sont moins nombreuses, mais au moins 25% des patients présentent des invalidités fonctionnelles, certaines nécessitant des opérations.

 

(1) cf. Rapport mondial sur le handicap, OMS, 2011.

 Photographie en couverture : ©Irénée de Poulpiquet