Les premiers cas de COVID-19 ont été signalés le 9 mars au Burkina Faso. Depuis, l’Etat a été dans l’obligation d’organiser en urgence la lutte contre la propagation du coronavirus. Le docteur Ilboudo, responsable de l’unité d’élimination de la lèpre du Programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées et directeur du centre Raoul Follereau à Ouagadougou, a été mobilisé dans ce but.

 

Le centre Raoul Follereau comporte une unité d’élimination de la lèpre et a pour vocation de dépister et prendre en charge les malades de la lèpre. Entretien exclusif avec le docteur Léopold Ilboudo.

 

Quelle est la situation sur le COVID au Burkina Faso ?

 

« Les deux premiers cas ont été notifiés le 9 mars 2020. Puis, dès le 10 mars, le nombre de cas a commencé à augmenter. Le gouvernement a donc pris des mesures telles que la fermeture des classes depuis le préscolaire jusqu’aux universités et écoles de formation ; l’interdiction des regroupements de plus de 50 personnes ; la fermeture des bars, boites de nuits, maquis (débiteurs de boissons) et restaurants ; le port de bavette (sur-blouse) ; le lavage régulier des mains et/ou l’utilisation du gel hydro-alcoolique ; l’observation d’une distanciation sociale d’au moins un mètre entre deux personnes. Dans un second temps, le gouvernement a décidé la mise en quarantaine de toutes les villes où au moins un cas de COVID-19 a été dépisté.

A la date du 16 avril 2020, le Burkina comptait 557 personnes dépistées positives, dont 35 personnes décédées dont 30 qui ont plus de 50 ans. Il faut également souligner que 294 personnes sont guéries et 228 sont actuellement sous traitement. »

 

Le centre Raoul Follereau a dû se réorganiser face à cette pandémie, quelles sont vos missions et depuis quand ?

 

« Dans le but de contribuer à la lutte contre la propagation du coronavirus et dans le respect des mesures prises par le Ministère de la Santé, le centre Raoul Follereau a réduit ses activités. Nous auscultons à présent 20 patients par jour au lieu de 60 habituellement, le personnel doit porter systématiquement la bavette ainsi que tous les usagers du centre. Nous sommes tenus de respecter les gestes barrières lors de nos consultations et la distanciation sociale dans le centre.

Pour ma part, j’ai été réquisitionné par le Ministère de la Santé pour appuyer le groupe thématique « surveillance » dans la lutte contre le covid-19. J’ai intégré l’équipe le 30 mars 2020.

Le rôle de ce groupe est de superviser les équipes d’intervention rapides (EIR) des districts de la région du centre et du site fixe de Tengandogo, d’effectuer les investigations et les prélèvements d’urgence, de former les EIR des Centre Hospitaliers Universitaire (CHU), d’appuyer les CHU et CMA dans la mise en place des sites fixes de dépistage.

Le groupe thématique « Surveillance » est subdivisé en équipes de deux personnes pour la supervision et de cinq personnes pour les investigations et prélèvements d’urgence.

Avec mon binôme, nous nous rendons quotidiennement soit dans un district sanitaire, soit au CHU de Tengandogo. Nous observons le travail des EIR sur le terrain, nous leur faisons des remarques dans le but de faire correctement le travail tout en se protégeant. Nous faisons ensuite le bilan de chaque sortie quotidienne et faisons remonter à la coordination de la lutte, les difficultés rencontrées par les EIR sur le terrain en vue d’apporter des corrections. »

 

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

 

« La difficulté majeure est le nombre insuffisant en sur-blouses et en kits de prélèvement. »

 

Quel est le profil des malades et comment sont-ils pris en charge ?

 

« Le virus Covid-19 touche les deux sexes mais les hommes semblent en être plus atteints. La stratification en tranche d’âge n’est pas pour l’heure disponible. Mais le plus souvent, les patients investigués en notre présence sont adultes.

Les patients dépistés positifs sont pris en charge dans deux structures : le CHU de Tengandogo et la Clinique Princesse SARAH. Ce sont les deux structures aménagées pour recevoir les patients de Ouagadougou. Les patients des autres villes sont hospitalisés dans les Centres Hospitaliers Régionaux (CHR) et Centre médicaux avec Antenne chirurgicale (CMA).

Le traitement se fait à base d’un protocole validé par un groupe d’experts nationaux. »

 

Quelle est la situation des hôpitaux ? Attendez-vous encore le pic de la crise et comment y faire face ?

 

« Au début de la crise, seul le CHU de Tengandogo recevait les patients. Dans les régions, les directeurs des centres hospitaliers régionaux ont reçu l’ordre du Ministère de mettre en place leur plan blanc. Ainsi, chaque hôpital s’est organisé pour pouvoir recevoir en isolement dans un local bien identifié d’éventuels cas positifs.

Actuellement, dans la région du Centre du pays, le groupe thématique « Surveillance » a proposé la mise en place de poste de triage COVID dans les CHU et CMA. Ainsi, tout patient qui arrive dans une structure de santé doit être interrogé puis dépisté s’il présente d’éventuels signes évocateurs. De même, les membres de la communauté qui présentent des signes peuvent s’y rendre pour se faire dépister.

Ce type de site de dépistage est déjà fonctionnel à l’entrée du CHU de Tengandogo depuis le 1er avril et au CHU de la ville de Yo le 16 avril. Il faut préciser que le CHU de Tengandogo ne dispose que de sept lits équipés en matériels de réanimation.

Le pic avait été prévu pour la fin du mois d’avril. Cependant il ne s’agit là que d’estimations. Nous ne pouvons pour l’instant nous prononcer sur un éventuel pic déjà atteint ou à venir, les jours à venir nous en diront plus. »

 

Au niveau médical, quelles sont les expertises du Burkina Faso ?

 

« Le Burkina dispose de médecins spécialistes capables de prendre en charge des cas de COVID. Il s’agit aussi bien de médecins de santé publique que de cliniciens compétents. Cependant, les insuffisances du plateau technique rendent difficiles la prise en charge et certaines réalités sociales ne permettent pas la mise en œuvre de plans de prévention efficaces. »

 

Dans quelle mesure votre expérience de léprologue vous aide-t-elle ?

 

« Avant d’être dermatologue, je fus Médecin Chef de district pendant 3 ans et demi. Au cours de cette fonction, j’ai eu à gérer une épidémie de méningite.

L’expérience acquise depuis ma prise en fonction en 2004 comme médecin et depuis 2014 comme léprologue me permet d’apporter ma contribution car le Covid-19 est également une maladie transmissible. Les règles d’hygiène sont alors appliquées à ce niveau pour limiter la transmission. »

 

A ce jour, quelles leçons tirez-vous au niveau de votre pratique de la médecine et au niveau humain ?

 

« De la pratique médicale, je retiens que le médecin doit être disponible à tout moment pour son pays quelle que soit sa spécialisation. En effet, je saisis l’occasion des consultations dermatologiques pour faire une sensibilisation sur le COVID-19. En outre, en intégrant l’équipe de supervision, je retrouve sur le terrain certains médecins que j’ai encadrés, et qui sont ouverts à nos observations. En somme, le médecin, quel que soit son profil, doit savoir s’adapter et être utile à l’humanité en fonction des exigences du moment.

Sur le plan humain, l’avènement de cette maladie nous donne une véritable leçon de vie. Cela a créé en chacun de nous un élan de solidarité. Je suis fier de servir la nation, notamment les couches les plus vulnérables, qui vivent dans des situations de précarité extrême. »